
Sofia Nabet
Découvrez le parcours de la boxeuse professionnelle Sofia Nabet, championne de France et WBC francophone des poids légers (61,230kg), gestionnaire des ressources humaines au sein de SNCF Réseau.
Sa carrière
« Noble art » pour noble quête
Les combats impliquent une cause. Pour Sofia Nabet, elle a vite été trouvée : « Je voulais rendre fier mon père ». À Chauny, l’ancien boxeur Mohammed Nabet, 50 combats à son actif chez les welters (-66 kg), a un regret : sa nationalité marocaine ne lui a jamais permis d’aller chercher la ceinture de champion de France. Père de quatre filles, Mohammed les amène à la salle de boxe, avec l’espoir intime que l’une d’entre elles parvienne à guérir cette blessure. La plus jeune, Sofia, y montre une aisance toute particulière.
La petite fille de l’Aisne, aujourd’hui âgée de 34 ans et devenue gestionnaire des ressources humaines chez SNCF Réseau, est alors une enfant timide : « On ne dirait pas comme ça, mais j’étais une peureuse qui n’osait même pas aller chercher le pain toute seule », sourit-elle. Une fois les gants enfilés, Sofia ne se sent plus tout-à-fait la même : « J’étais un peu le cobaye d’entraînement de mon père. On s’est vite rendu compte que la boxe coulait dans mes veines. Sur un ring je me sens en confiance, poursuit-elle, comme si tout ça était un peu inné ».
Esquive et boxe mains basses
Avec son coup d'œil et sa boxe aérienne, l’adolescente s’entraîne à présent dans la salle familiale des Hauts-de-France. Elle n’aspire qu’à une chose : disputer son premier combat. Une envie de se confronter à la concurrence réfrénée par le père, soucieux que sa fille maîtrise l’art de l’esquive avant d’aller au combat, « pour ne pas s’abîmer ».
La bénédiction de Mohammed en poche, Sofia part en quête de sacre à Soissons. Elle y affronte, à 15 ans, une adversaire avec déjà huit combats à son actif et le trac de dizaines de paires d’yeux rivés sur sa boxe à gérer. Sans se démonter, elle ramène du ring une première victoire et un surnom : Leila Ali, en référence à la boxeuse et fille de Mohamed Ali. « Parce que je boxais les mains basses, comme mon père », s’amuse-t-elle.
Partir pour ne pas se déchirer
Le binôme père-fille truste les titres régionaux en Picardie, de 2006 à 2009. Au sortir des années 2000, la relation entraîneur-boxeuse se tend. Sofia, soucieuse de ne pas « se déchirer avec (son) père », quitte le nid familial. Elle met le cap sur Saint-Étienne (Loire) où vit l’une de ses sœurs aînées. Parallèlement à un travail d’agent d’entretien à la morgue, puis dans les services de néonatologie et d’oncologie pédiatrique de l’hôpital Nord de la ville, Sofia poursuit son rêve, loin de son modèle, en glanant deux titres régionaux supplémentaires dans le Comité du Lyonnais, avant qu’un mystérieux mal ne la rattrape…
Un matin où tout bascule
Un matin aussi routinier qu’un autre, Sofia se lève. Sauf que, incapable de lacer ses chaussures et de marcher correctement, la jeune femme de 21 ans serre les dents et poursuit sa matinée, mettant ses difficultés sur le compte d’un « gros lumbago ». Au moment de prendre ses clés pour ouvrir la portière de sa voiture, envahie par la douleur, Sofia tousse et se fige : « J’ai entendu un gros craquement, je ne pouvais plus bouger ». Des passants appellent à l’aide, les pompiers arrivent, la boxeuse est allongée sur une planche, le cauchemar commence.
Les années de dépression
« Ils ont d’abord pensé à une hernie discale paralysante », confie Sofia, alitée chez sa sœur et son beau-frère. L’intervention chirurgicale est alors exclue en raison de son jeune âge. Sédatée et incapable de boxer, Sofia « part en sucette » et tombe en dépression, trouvant le réconfort dans le soutien des siens mais rongée par la culpabilité de ne plus pouvoir faire la fierté de son père sur le ring. « Il me considérait comme son “mini-lui” et a très mal vécu ma maladie », confesse-t-elle. Les mois passent à mesure que les séances de kinésithérapie s’enchaînent, au gré du ballet des infirmières qui viennent la changer de position ou l’aider à sa toilette.
Son autre combat
La lumière se rallume en 2014, Sofia marche de nouveau. Secrètement, elle reprend un semblant d’entraînement, seule, sur un stade voisin, au moment où « plus personne ne croit en (elle), aux oubliettes de (son) sport et considérée comme perdue pour la boxe ». Pourtant, Sofia a une idée derrière la tête : trouver un coach digne de confiance et participer à un championnat de France.
Elle se tourne vers Bourgoin-Jallieu (Isère) et Papou Ouajif, ancien entraîneur de Brahim Asloum, champion olympique aux Jeux Olympiques de Sydney 2000. Sofia cache le mal qui la ronge au coach du Ring Berjallien. Si la technique revient, le physique, lui, « est catastrophique ». Papou lui conseille de prendre une licence loisirs. Las, elle évoque son ambition familiale et confie son problème à un autre entraîneur du club : Freddy Hugbeke.
« On va gérer »
Conscient du potentiel de sa nouvelle protégée, il lâche : « t’inquiète, on va gérer ». Résultat, 7 combats pour 7 victoires et un come-back digne d’un Rocky. Anthony Veniant, sélectionneur de l’équipe de France de boxe, comprend lui aussi qu’il y a « un truc » chez Sofia. Conviée à un tournoi international, en 2016, en Irlande, elle y remporte son premier combat hors des frontières. La saison est aussi celle d’une rencontre avec celui qui deviendra bientôt son compagnon de vie, le boxeur Adji Sangare, à l’époque homme de coin d’une de ses adversaires.
« Papa, t’es champion ! »
« Énervée comme jamais », la boxeuse aborde la saison 2017 prête à « arracher des têtes » aux championnats de France. Sur le ring du Cirque d’Hiver du Havre, Sofia survole la compétition et les combats de 4 rounds de 2 minutes. Déclarée vainqueure aux points en finale, à l’unanimité des juges, elle crie en tapant sur sa ceinture : « Papa, t’es champion ! » Désormais championne de France des poids plumes (-57 kg) et titulaire en équipe de France, elle réalise le rêve de Mohammed.
Le retour du « mal »
Intégrée à l’INSEP, la boxeuse y côtoie un ex-membre du Dispositif Athlètes SNCF, Bakary Diabira. Accomplie sportivement, Sofia entend trouver un équilibre professionnelle et intégrer le groupe ferroviaire. C’est chose faite en janvier 2018, en tant qu’Agent commercial en gare de Paris Nord. Rattrapée par ses douleurs au dos, la préparation des Jeux Olympiques de Tokyo tourne au calvaire : « Malgré les spécialistes vers qui on m’envoie, mon dos dit stop, je finis les entraînements en vomissant », souffle Sofia, qui évoque « un gros coup de massue ». Sans solution, elle claque la porte de l’équipe de France.
Un « Phénix », championne chez les pros
Orientée par sa kiné vers un énième spécialiste, ce dernier lui diagnostique une discopathie après des années de souffrance. Seule option ? L’opération. Décidément faite d’un autre bois, la sportive marche de nouveau 15 jours après l’intervention. Six mois plus tard et à la stupéfaction du corps médical, la voilà de retour pour des séances d’entraînement, en corset, avec un nouvel objectif : « lancer (sa) carrière pro en compagnie d’Adji. » Le 13 juillet 2021, moins de 9 mois après son opération, elle remporte son premier combat chez les professionnels, à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), sous les yeux de son père. Renaissante, celle qu’on appelle « Le Phénix », gagne le titre de championne de France professionnelle, en avril 2022, au terme d’un combat en 8 rounds.
« Prouver, sur et en dehors du ring »
C’est au club d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), que Sofia poursuit sa carrière professionnelle avec Adji. Désormais gestionnaire en ressources humaines au siège SNCF Réseau, “pour (se) prouver de quoi (elle) est capable en dehors des rings”, Sofia continue de briller gants aux poings. En décembre 2023, pour son 5e combat professionnel, elle gagne ainsi le championnat WBC francophone des poids légers (61,230kg), après 10 rounds intenses. Revenue de nulle part, Sofia vise l’échelon continental pour la suite de sa carrière, « au jour le jour », consciente de la fragilité de son dos mais sûre de cette force qui a conduit la timide gamine de l’Aisne à surmonter toutes les épreuves.
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