« Choisir la végétation plutôt que la subir »

Pour entretenir nos voies ferrées, nous expérimentons plusieurs innovations se substituant aux produits phytosanitaires. Parmi celles-ci, une technique avant-gardiste, l’ensemencement choisi. Entretien avec Claire Couvrechef, Spécialiste Maîtrise de la Végétation de SNCF Réseau en Île-de-France.

Une démarche alternative inédite

Indispensable pour garantir la sécurité et la régularité du trafic, le désherbage des voies se diversifie au profit de pratiques plus respectueuses de l’environnement. Outre l’écopâturage, débroussaillage effectué par des animaux, nous testons notamment l’ensemencement choisi. Une technique qui consiste à implanter un mélange d’espèces végétales compatibles avec les contraintes de sécurité ferroviaire et du personnel. Retour sur une expérimentation unique en France.

Qu’appelle-t-on l’ensemencement choisi ?

Cela fait partie des expérimentations menées pour désherber les voies et éradiquer les arbustes qui poussent en nombre sur les voies de service anciennes. En effet la couche de ballast1 initiale y disparaît au profit d’un mélange sableux, ce qui représente un terreau propice à la croissance de la végétation. L’idée est donc de favoriser certaines plantes plus que d’autres, d’implanter des espèces végétales pouvant entrer en concurrence avec celles déjà présentes sur le terrain. Pour maîtriser intelligemment la végétation sur les voies de service faiblement circulées.

Et pourquoi celles-ci en particulier ?

Car, sur ce type de voie, on ne peut recourir à l’écopâturage, cette tondeuse naturelle utilisée aux abords des voies. Nous devions donc trouver une alternative. Les voies de service sont en quelque sorte les coulisses du réseau principal. Elles ont plusieurs fonctions : opérations de manœuvre, stationnement de rames, formation des trains, ou encore maintenance du matériel... On voit bien, ici, l’importance de ce type de voie. Il ne peut donc y avoir, pour des raisons de sécurité, de végétation envahissante.

Quels risques pose la végétation indésirable ?

Elle est problématique à plusieurs égards. En premier lieu, elle peut affecter la géométrie des rails. Le risque ? Des accidents pouvant aller jusqu’au déraillement. La propagation de cette végétation indésirable nuit, en outre, à la surveillance des éléments de la voie. Lors des inspections menées par des cheminots, elle constitue une gêne visuelle non négligeable, et augmente le risque d’accidents de plain-pied.

Comment avez-vous mis en place ce projet ?

Cela fait déjà 5 ans que nous réfléchissons à un changement de stratégie. L’idée de départ ? Au lieu de désherber, proposons une végétation compatible avec les normes de sécurité. Et ce, en semant des graines sélectionnées en amont.

Cette technique est-elle facile à utiliser ?

Elle a nécessité, d’emblée, des recherches très approfondies. Anne Petit (DGII Développement Durable) a lancé une thèse que je co-pilote afin de porter ce sujet à l’échelle locale aussi bien que nationale. Le triage de Villeneuve-Saint-Georges, situé dans le Val-de-Marne, a été choisi comme principal site d’expérimentation. Un important travail a été réalisé par une chercheuse, Muriel Ehmig, afin d’étudier les plantes. En amont, il a fallu d’abord établir des critères de sélection avec les métiers concernés par ces sites...

Quels sont-ils ?

Pour des raisons de sécurité, cette végétation ne doit pas dépasser 10 centimètres de haut : il ne faut pas qu’on puisse se prendre les pieds dedans et on doit pouvoir voir les potentiels défauts de voie. Ces plantes, cette fois choisies par nous, doivent aussi pouvoir survivre sans être arrosées et en étant régulièrement piétinées. Et pour finir, elles doivent résister au froid, au vent et aux conditions climatiques extrêmes. Voilà les principales contraintes à prendre en compte avant de les choisir.

  • 500

    espèces végétales étudiées

  • 14

    espèces finalement sélectionnées

  • 4

    mélanges de plantes différents testés

Comment les sème-t-on les plantes sélectionnées ?

On ne peut pas procéder comme lorsqu’on plante du gazon. C’est plus compliqué. On a donc eu recours à l’« hydromulching », une méthode permettant de semer rapidement et avec peu de préparation de grandes surfaces. Le processus est le suivant : dans un camion, on mélange les graines avec de l’eau et du « mulch », mélange de cellulose, de fibre de bois et de matière organique. Puis cette composition est projetée. Grâce à cette technique, les plantes poussent mieux et prennent le dessus sur les indésirables, qu’elles vont petit à petit étouffer.

D’autres sites ferroviaires ont-ils été testés ?

Les premiers semis à Villeneuve-Saint-Georges ont eu lieu en avril 2019. Un second site, en Bourgogne, a été ensemencé ensuite. Nous avons envisagé de nouveaux sites : de l’ordre de 5 ou 6, dont un sur la LGV Atlantique.

À terme, l’objectif est un déploiement national ?

Oui, si les résultats sont concluants. Un tiers des voies de service sur le territoire pourrait bénéficier de cette expérimentation, la première du genre en Europe. Le fait d’avoir reçu le Trophée SNCF 20192 nous a rendus crédibles. Jusqu’à présent, on nous a souvent opposé que cette méthode n’était pas technique, pas assez sophistiquée, alors qu’elle l’est. Notre ambition est d’élaborer des mélanges de plantes éprouvés et efficaces afin que l’ensemencement devienne un outil d’entretien comme un autre. Pour reprendre la main sur nos territoires sans dépendre d’une molécule.

SNCF s'engage – l'ensemencement choisi