« Créer un “choc d’offre de transport public” »
En pointe sur les véhicules autonomes, Keolis développe des solutions toujours plus performantes pour répondre aux besoins de mobilité. Quelles expérimentations sont menées ? Quels sont les enjeux de la mobilité autonome ? Comment la faire accepter ? Éric Callé, Directeur Innovation & Industrialisation, nous répond.

Où en est la mobilité autonome chez Keolis ?
Quand nous avons lancé des expérimentations il y a quelques années, le véhicule autonome était considéré comme une technologie disruptive, devant être explorée dans différents cas d’usage. Ce que nous avons fait avec des navettes de faible capacité.
Et aujourd’hui ?
Nous nous focalisons surtout sur la possibilité de desservir facilement des zones moins denses, périurbaines, rurales, ou encore des cœurs de villes : des lieux où la demande de transport public n’est pas massive, mais où il y a néanmoins des besoins de déplacement. Au bout du compte, il s’agit d’augmenter la part des transports collectifs grâce à la mobilité autonome, en complétant l’offre de transport pour un coût global compétitif, par exemple en fin de soirée ou aux heures creuses.
Dans quelles villes ?
Entre 2018 et 2020, nous avons mis en place une solution de transport rural à Waterloo, en Belgique, et dans le centre-ville de Nevers, au moment des courses pour les fêtes de fin d’année. En 2021, un service a été lancé à Saint-Quentin-en-Yvelines pour desservir les quartiers d'affaires, avec des navettes circulant entre la gare RER et les bureaux. Sur le fond, nous voulons contribuer à l’essor d’un « choc d’offre de transport public ». Pour cela, nous travaillons sur l'automatisation de véhicules de plus grande taille et la progression sur les performances des services.
Votre projet de minibus autonomes, par exemple ?
Appelé Mach2, ce projet pilote de service de transport autonome public est aujourd’hui le plus prometteur. Porté par un consortium composé de Keolis, Easymile, Renault, Alstom, Equans et Statinf, il est prévu pour être opérationnel en 2026, à Châteauroux. Il s’agit de faire circuler des bus de 6 mètres de long, avec une capacité de 20 places environ. C'est un projet en centre-ville et en route ouverte, ce qui signifie que les minibus rouleront au milieu des voitures, des bus, etc.
Cela demande-t-il des aménagements ?
Nous allons déposer des dossiers pour obtenir, au titre de la loi d’orientation des mobilités (LOM), des autorisations jamais demandées ou accordées auparavant. Nous collaborons donc avec le Service technique des remontées mécaniques et des transports guidés (STRMTG), qui gère aussi bien les tramways que les remontées mécaniques, et délivre les autorisations nécessaires pour créer un réseau de véhicules autonomes routiers.
Quelles sont les perspectives de développement ?
Nous tablons sur un chiffre compris entre 100 et 500 services autonomes opérationnels en France, à l’horizon 2030. Mais d’ici là, nous devons répondre à de nombreuses interrogations techniques : comment le véhicule va-t-il percevoir son environnement ? Quelle vitesse va-t-il pouvoir adopter ? Comment va-t-il réagir aux véhicules qui l’entourent ? Comment va-t-il dialoguer avec l'infrastructure ? Etc. Ce sont d’abord les industriels qui avancent comme Easymile, Gaussin Macnica Mobility (Gama), Renault, Bluebus, Karsan, ZF…
Et chez Keolis ?
Nous concentrons nos efforts sur notre site d’essais des mobilités autonomes : le SEMA. Grâce à ce terrain de tests et de validation, nous accompagnons le développement des technologies, questionnons l’expérience voyageur et préparons les déploiements. La partie technique de la mobilité autonome est essentielle, avec, au premier plan, l'enjeu de la sécurité.
Comment abordez-vous cet enjeu ?
Nous commençons à mettre en place des services qui fonctionnent sans personnes physiques à bord, c’est le niveau 4. Mais pour les faire accepter, il faut créer des conditions de sécurité pour tout le monde. Si vous circulez avec votre famille à 17h, ce n’est pas pareil que si vous êtes une jeune femme qui empruntez un véhicule autonome après 22h30.
La perception n’est pas la même…
Il ne suffit pas de dire qu'on va faire des dessertes complémentaires pour que plus de gens prennent les transports en commun. Il faut que les gens se sentent à l'aise avec le véhicule proposé. Or, on a vite fait de fabriquer un véhicule très automatisé et froid. Ce n’est pas du tout notre vision.
L’expérience voyageurs est-elle la clef ?
C’est tout le sens de notre programme « Thinking like a passenger ». Kisio, filiale du groupe Keolis, nous aide à imaginer ces services de demain. Nous réfléchissons à la manière dont nous allons accueillir les gens à bord, dont nous allons nous adresser à eux, etc. Pour que les passagers comprennent exactement ce qu'il se passe dans un véhicule sans conducteur humain à bord. C’est ainsi que nous espérons contribuer à diminuer le recours au « tout voiture individuelle ».
La mobilité autonome peut-elle la remplacer ?
Elle doit permettre, avec un éventail de possibilités au coût finement étudié, d'apporter une desserte spécifique dans les territoires où la seule alternative à la marche est la voiture. Nous voulons encourager les personnes actives à laisser leur deuxième voiture ou les personnes âgées ne pouvant plus conduire à se déplacer.
Pour mettre fin à l’autosolisme¹…
Pour cela, il faut travailler sur les cinq leviers évoqués par Aurélien Bigo (ndr, chercheur spécialisé dans la transition énergétique des transports) : la demande de transport, le report modal, le taux de remplissage des véhicules, leur efficacité énergétique, et l’intensité carbone de l’énergie. L’autosolisme1 est la solution de transport par défaut, car elle a été cultivée depuis des décennies.