
Comment les autoroutes ferroviaires réinventent le fret ?
Pourquoi les autoroutes ferroviaires sont-elles amenées à jouer un rôle de plus en plus important dans le transport de marchandises ? Charles Puech d’Alissac, président de VIIA, nous explique comment ce service de ferroutage réinvente le fret ferroviaire en Europe.
Un nouveau type de transport combiné rail/route
Au sein du groupe SNCF, VIIA opère des autoroutes ferroviaires qui permettent de transporter aisément par train des semi-remorques. Ce nouveau type de transport combiné rail/route contribue ainsi à désengorger le trafic routier. Intéressant d’un point de vue économique, ce service s’inscrit dans le droit fil de la politique européenne de réduction des émissions de CO2, alors que l’Union européenne. s’est engagée à atteindre la neutralité carbone en 2050. Aujourd’hui, VIIA pilote 6 lignes, mais se prépare déjà à lancer de nouveaux axes dans les années à venir. Explications.
6
lignes d’autoroutes ferroviaires en Europe
94%
de CO₂ évité par rapport à la route
23 M
de tonnes de marchandises depuis 2003
En quoi l’autoroute ferroviaire est-elle une alternative au « tout-routier » pour le fret longue distance ?
Charles Puech d’Alissac : « Elle représente, pour les transporteurs routiers, un service de ferroutage flexible et intéressant d’un point de vue économique. Jusqu’à présent, pour utiliser les transports combinés rail/route et acheminer leurs marchandises, ces derniers devaient, au préalable, investir dans des caisses mobiles ou dans des semi-remorques préhensibles. Cette solution logistique suscite donc des réserves, du fait de son coût. Le concept d’autoroute ferroviaire a justement pour but de lutter contre ces réticences, d’inciter les transporteurs routiers à reprendre le train sans investissement complémentaire. »
De quelle manière ?
C.P.A. : « En proposant, en 1er lieu, une solution matérielle novatrice, puisque nos autoroutes ferroviaires prennent en charge les semi-remorques traditionnels, qui constituent 90% du parc routier en Europe. Les semi-remorques sont ainsi chargées de manière horizontale afin d’éviter de les endommager. »
Est-ce là l’unique innovation ?
C.P.A. : « Dans la même logique, nous avons aussi ouvert nos terminaux 24h/24 et 7j/7, afin que les transporteurs n’aient pas à réorganiser leurs horaires de chargement ou de déchargement chez leurs clients. Plusieurs fréquences quotidiennes (2, 3 ou 4 fois par jour) ont été mises en place. Cela offre de la flexibilité aux transporteurs routiers lorsqu’un horaire ne leur convient pas. »
Qu’est-ce-qui différencie foncièrement les autoroutes ferroviaires du fret routier ?
C.P.A. : « C’est surtout une philosophie et une approche différentes du marché. Car, nous ne sommes pas dans un conflit route contre fer. Nous essayons, au contraire, de construire un service commun qui allie les qualités de la route, comme l’accessibilité ou la réactivité, à la puissance du ferroviaire sur la longue distance, du fait notamment de la massification. »
Pourtant, vos autoroutes ne peuvent pas couvrir toutes les liaisons possibles…
C.P.A. : « Certes, car elles sont dimensionnées, du fait de la fréquence de trains nécessaire, pour des volumes de marchandises très importants. Nous parions sur le fait que les transporteurs routiers, une fois acquis au ferroviaire sans avoir eu besoin d’investir, se tourneront naturellement vers une logistique plus verte que le transport routier de bout en bout. »
Quelle est la nature de votre collaboration avec les autres entités de la SNCF ?
C.P.A. : « Pour mettre en place ces services et les faire fonctionner, nous avons besoin de wagons, de terminaux et de traction ferroviaire. Pour cela, nous travaillons majoritairement avec Fret SNCF, mais nous utilisons également les services de Mercitalia Rail1 en Italie ou de Renfe2 en Espagne. »
Et pour ce qui est de l’infrastructure ferroviaire ?
C.P.A. : « Notre collaboration avec SNCF Réseau est évidemment très importante. D’ailleurs notre mode d’utilisation du réseau ressemble à celui du voyageur : nous exploitons, nous aussi, des navettes cadencées3 sur nos autoroutes ferroviaires, ce qui n’est pas le cas du fret ferroviaire. Nous avons donc besoin de sillons répartis tout au long de la semaine mais aussi de la journée. Ce qui peut être parfois compliqué en cas de travaux sur le réseau. Or, nous avons quotidiennement besoin de faire circuler des trains et ce, à n’importe quelle heure et sur de très longues distances. »
Quels sont vos projets de développement ?
C.P.A. : « Je suis persuadé, et la crise du Covid a renforcé cette conviction, que les autoroutes ferroviaires ont un potentiel de développement plus important que les services de fret ferroviaire conventionnel. Bien entendu, nous souhaitons également nous positionner sur les projets annoncés par le gouvernement autour des lignes Sète – Calais, Barcelone – Perpignan – Rungis et nous étudions aussi des partenariats entre Cherbourg et Mouguerre. »
Dans quelle mesure les autoroutes ferroviaires ont un potentiel accru ?
C.P.A. : « Dans les prochaines années, le transport combiné va être une solution forte pour répondre aux enjeux environnementaux. Nous voulons transférer de la route vers le fer un volume conséquent de marchandises transportées, mais en travaillant avec les routiers et non contre eux. Jusqu’à il y a encore deux ans, pour nos clients, la performance écologique de notre service ne semblait pas peser dans la balance. Or depuis, cet argument gagne du terrain auprès des chargeurs, c’est-à-dire les clients de nos clients. Bien sûr, le prix est toujours le facteur décisif, mais le souci de protéger l’environnement a clairement progressé. »
Quel est l’impact, en termes d’émission de CO₂, des autoroutes ferroviaires par rapport au transport routier ?
C.P.A. : « On considère en général que le transport combiné représente une économie de 85% de CO2 par rapport à la route. Mais nous trouvons plus simple de dire que nous visons un impact zéro sur le CO2. Et pour atteindre cette neutralité carbone, une politique ambitieuse, visant à décarboner au maximum nos opérations, a été mise en place. Depuis 2021, nous sommes neutres en carbone grâce à des actions destinées à compenser nos émissions mais notre réel objectif à terme, c’est que nos émissions de carbone soient les plus proches possibles de zéro, sans recourir à des compensations. »
Comment comptez-vous y parvenir ?
C.P.A. : « Nous avons élaboré tout un plan d’actions diverses. Par exemple, avec Fret SNCF, nous prévoyons d’acheter une électricité encore moins carbonée. Nous essayons de privilégier un peu partout l’électrique, en introduisant des tracteurs électriques pour la manutention sur les terminaux, en révisant l’éclairage dans nos plateformes, en utilisant des véhicules électriques sur nos sites ; aujourd’hui, environ 30% des voitures de service utilisées sont électriques. Voici comment nous éliminons progressivement toutes les sources d’émissions de CO2. Et en attendant d’avoir fini ce travail de longue haleine, on compense. Ce qui nous permet de dire que nous sommes déjà neutres en carbone depuis 2021. »