Pascal Demurger pointe « le coût de l’inaction climatique »
Un réchauffement moyen de +4 °C en France à l’horizon 2100 ? C’est le scénario de référence fixé par l’État. SNCF Réseau choisit d’anticiper ces changements. Un engagement synonyme de « performance » et de « résilience », selon le directeur général de la MAIF et co-président du Mouvement Impact France.
Groupe SNCF : Quels sont les principaux défis auxquels les assureurs sont confrontés en matière de changement climatique ?
Pascal Demurger : Le risque principal pour les assureurs est de ne plus pouvoir faire leur métier ! Le dérèglement climatique est un phénomène d’une telle ampleur qu’il interroge notre capacité à protéger les personnes et les entreprises dans la durée. Les coûts augmentent de manière exponentielle et ont atteint en France le niveau record de 11 milliards d’euros en 2022. Dans le même temps, de plus en plus de territoires sont touchés : on sait par exemple que la moitié des maisons individuelles en France sera exposée à la sécheresse. L’assurance est donc un bon thermomètre de l’accélération du dérèglement et de l’urgence à changer de logiciel si nous voulons nous adapter à cette nouvelle réalité.
Groupe SNCF : Comment le secteur de l’assurance s’adapte-t-il ?
P.D. : Face à cette menace, les assureurs ont deux choix. Soit se retirer des zones les plus exposées, avec des conséquences sociales évidentes pour les personnes qui ne pourraient plus s’assurer. Soit conserver la mutualisation du risque entre assureurs et donc limiter les coûts et maintenir une forme de solidarité climatique pour protéger tout le monde. Cette mutualisation est toujours la règle aujourd’hui en France, mais on voit bien qu’il s’agit d’un choix qui demande un esprit de coopération. Au-delà de cette dimension, nous devons entrer dans une logique systématique de prévention pour limiter l’exposition de tous aux risques climatiques. Aujourd’hui, la culture de prévention climatique et les moyens alloués restent trop faibles.
Ne pas prendre le virage de l’adaptation est éminemment risqué. C’est ne pas aller dans le sens de l’évolution de nombre de secteurs économiques.
Directeur général de la MAIF et co-président du Mouvement Impact France
Groupe SNCF : Comment la MAIF intègre-t-elle les risques liés au changement climatique dans ses politiques d’assurance et ses décisions d’investissement ?
P.D. : Nous intégrons dans nos métiers un triptyque « atténuation », « adaptation » et « régénération ». D’abord, l’atténuation, c’est-à-dire la réduction des émissions de gaz à effet de serre. MAIF est un investisseur avec plus de 20 milliards d’euros sous gestion. C’est l’un de nos leviers les plus puissants pour améliorer notre empreinte écologique. Depuis les années 2010, nous appliquons une politique d’investissement responsable traduite par des stratégies climat, biodiversité et sociale exigeantes. Concrètement, nous n’investissons plus dans le charbon et le pétrole et, à l’inverse, plus de 15% de ces investissements sont fléchés vers des projets contribuant directement à la transition. Nous incitons également nos sociétaires à adopter des comportements vertueux en proposant des tarifs préférentiels pour l’assurance des véhicules électriques ou via le réemploi de pièces automobiles dans les réparations que nous gérons. L’adaptation au dérèglement climatique s’incarne par exemple par notre site « Aux Alentours » qui permet à chacun de connaître les risques auxquels son habitation est exposée. Nous participons également au financement de diagnostics et travaux pour rendre plus résilientes les habitations de sociétaires très vulnérables.
Nous aspirons enfin à contribuer à la régénération de ce qui a été détruit pour que la nature assure plus efficacement sa fonction de protection face aux conséquences du dérèglement climatique. À la MAIF, cela s’incarne notamment par la création d’un dividende écologique. Concrètement, tous les ans, 10% de notre résultat sont dédiés notamment à des projets de régénération de la biodiversité : réhabilitation de zones humides, reméandrement de rivières, renforcement de dunes… afin de réduire, par exemple, les effets des inondations ou des submersions.
Groupe SNCF : L’adaptation a un coût : est-ce que la masse d’investissements à consentir en vaut la chandelle ?
P.D. : Oui, sans aucun doute. À une échelle collective, c’est factuel. Fin 2023, l’Ademe estimait, pour la France, à 260 milliards d’euros par an, d’ici 2100, le coût des conséquences du changement climatique si aucune action n’était entreprise. À l’inverse, le rapport Pisani-Ferry/Mahfouz1 estime que nous avons besoin de 66 milliards d’euros supplémentaires par an d’ici 2030 pour réaliser la transition. Le coût de l’inaction est plus élevé que celui de l’action.
À l’échelle d’une entreprise, ne pas prendre le virage de l’adaptation est éminemment risqué. C’est ne pas aller dans le sens de l’évolution de nombre de secteurs économiques et augmenter son exposition à ce que l’on appelle le risque de transition. C’est dégrader sa marque employeur. C’est se mettre en danger du point de vue de la réglementation. À l’inverse, les modèles d’entreprises qui ont pris en compte ces nouveaux défis sont tout aussi performants et nécessairement plus résilients. Le Mouvement Impact France, que je co-préside et dont la SNCF est membre, incarne ce virage.