
Adapter notre réseau au changement climatique
D’ici 2100, un réchauffement moyen de 4 degrés est attendu sous les latitudes françaises. Face à l’instabilité climatique croissante et aux risques que représentent les aléas pour le réseau ferroviaire, découvrez comment nos équipes travaillent à la création d’une infrastructure résiliente.
Multiplication des épisodes de fortes chaleurs, pluies intenses, retrait-gonflement des argiles, feux de forêt, tempêtes et recul du trait de côte littoral… Le changement climatique et l’augmentation des températures vont avoir de plus en plus de répercussions sur nos infrastructures ferroviaires. Au sein du Groupe, et en particulier chez SNCF Réseau, nos équipes adaptent d’ores et déjà leurs activités à cette réalité. Objectif : garantir la pérennité du réseau ferré, préserver la qualité de service pour les voyageurs et créer une infrastructure résiliente.
Décryptage en compagnie de Benoît Chevalier, Corinne Roecklin et Yann Freson, nos experts de l’adaptation au changement climatique chez SNCF Réseau.
Quel a été le point de départ de votre travail ?
Benoit Chevalier : Les estimations actuelles, traduites par la trajectoire d’adaptation publiée par le ministère de l’Écologie et que SNCF Réseau prend en référence, tablent sur quatre degrés d'augmentation de la température d'ici la fin du siècle au niveau mondial et vraisemblablement plus en Europe. On le sait désormais, le changement climatique induit va entraîner plus de vagues de chaleur, davantage d'intempéries et, à terme, une hausse du niveau de la mer… Comment préserver la qualité de service pour les voyageurs dans un monde où les intempéries causées par le soleil ou par le cycle de l'eau se multiplient ? Il s’agit de s’emparer de ce sujet et d’investir pour garantir la pérennité du réseau en s'appuyant sur notre longue expérience de gestionnaire d'un réseau exposé depuis toujours aux intempéries.
Le 3ᵉ Plan national d'adaptation au changement climatique
Le gouvernement a lancé, le 10 mars 2025, le 3e Plan national d’adaptation au changement climatique, fondé sur la trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique (TRACC). Ce plan a été élaboré en associant l’ensemble des parties prenantes : collectivités territoriales, État et opérateurs, organisations syndicales, filières économiques et associations. Il prévoit un ensemble d’actions concrètes pour adapter la métropole et les outre-mer aux impacts visibles et attendus du changement climatique.
C’est donc un sujet transverse…
Benoit Chevalier : Toutes les entreprises du Groupe, et en particulier SNCF Réseau et la Direction du Matériel côté Voyageurs, y travaillent. Cet investissement, tous les grands groupes industriels doivent le faire, car nous allons tous subir les conséquences du changement climatique, et donc devoir adapter notre organisation et nos actifs pour y faire face.
Aucune formule mathématique générale n’existe pour prédire ce qui se passe quand un talus est soumis à une inondation. Nous n'avons pas encore toutes les réponses.
Quels sont les impacts concrets du changement climatique ?
Corinne Roecklin : On constate déjà l’effet du changement climatique dans les canicules estivales ou encore le niveau des pluies, et dans les conséquences opérationnelles comme le foisonnement de la végétation. Pour la suite, on ne connaît pas tous les effets potentiels. Par exemple, les conséquences sur l’infrastructure de précipitations allant en s’intensifiant restent incertaines. On peut calculer la température d’un rail exposé à un fort ensoleillement, mais aucune formule mathématique générale n’existe pour prédire ce qui se passe quand un talus est soumis à une inondation. Penser aussi à l'impact du dérèglement climatique, et en particulier des canicules, sur les agents. Nous n'avons pas encore toutes les réponses - même le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, ndr) ne les a pas - mais nous étudions tout cela de près.
Quels outils existent pour étudier ces effets ?
Benoit Chevalier : La gestion d'actifs est le cœur de notre métier, donc l’adaptation au changement climatique fait déjà partie de notre ADN. Nous développons ainsi des systèmes de vigilance de plus en plus performants, comme Toutatis, notre dispositif pour surveiller l’état des ouvrages en terre en cas de fortes pluies. Outils digitaux, nouvelles normes… Nous cherchons à nous adapter en permanence.
On a mis en place un système fondé sur un “ordre du mérite” pour classer les mesures, des plus efficaces aux moins efficaces en termes techniques comme économiques.
Quelles actions sont déjà menées ?
Yann Freson : On a mis en place un système fondé sur un « ordre du mérite » pour classer les mesures, des plus efficaces aux moins efficaces en termes techniques comme économiques. Prenons la régénération du réseau : remplacer des vieux composants par des composants neufs exige de réfléchir à de nouvelles normes en anticipant les évolutions du climat. C’est vertueux, car cela rend le réseau résilient. Donc c'est ce qui a le plus de « mérite » à nos yeux. L’installation de l’ERTMS sur certaines lignes en est un bon exemple : ce système de signalisation est beaucoup moins exposé puisqu'il repose sur des centres de traitement digitaux dans des lieux climatisés, et les actifs au niveau de la voie sont bien moindres. C'est un exemple de régénération qui rend de fait le réseau plus résilient. Mais, en fonction des familles et de la nature des actifs, la régénération peut être insuffisante.
C’est-à-dire ?
Par exemple, un composant informatique sera régénéré tous les 20 ans environ, en l’adaptant progressivement aux exigences climatique, pour que son fonctionnement ne soit pas mis en défaut par le réchauffement de la planète, alors qu’un ouvrage en terre n’a pas d’échéance de renouvellement et il n’est donc pas dans un cycle de régénération mais plutôt d’entretien régulier.
Fabriquez-vous des équipements déjà résilients ?
Benoit Chevalier : Oui, même si c’est plus coûteux, car cela nécessite des conceptions plus robustes et des cahiers des charges plus ambitieux. Par exemple, nous avons déployé sur une ligne pilote la caténaire 1500 Volts CS2R, pour caténaire simplifiée renforcée régularisée, qui permet d’éviter les arrachements liés à la chaleur, nécessitant beaucoup de réparations. Mais elle n’est pas adaptée à tous les cas. Autre manière d'agir : prendre certaines mesures d'exploitation, de redondance, ou de maintenance en attendant de pouvoir régénérer des composants. Cela nous permet de faire durer un peu plus longtemps, pour des questions industrielles ou économiques, un actif qui devra à terme être régénéré pour être adapté au changement climatique.
L'adaptation au changement climatique touche tous les métiers de l'entreprise, et concevoir des produits résilients fait partie du quotidien des ingénieurs de la SNCF.
Avez-vous un exemple d’arbitrage de ce type ?
Yann Freson : On ne va pas rendre parfaitement résilientes en priorité certaines petites lignes, sur lesquelles les circulations restent faibles. C’est un débat à avoir avec les Régions. A contrario, parfois, on devra concéder un effort de régénération un peu anticipé. C’est pour nous ce qui a le moins de « mérite » d’un point de vue économique, le fait de rétrofiter des installations existantes. Mais on le fait parfois, soit pour maîtriser leur vulnérabilité, soit parce qu’elles ont été dégradées par un événement météo.
Vous disposez donc d’une palette d’actions…
Yann Freson : Oui et cela va de l’action la plus naturelle et « méritante » à la moins « méritante » et la plus subie. Nous créons la trajectoire d'adaptation la plus pertinente possible grâce à cet éventail de possibilités, qui nous permet d’arbitrer entre les différentes actions à mener selon les situations, les actifs et les aléas, tout en continuant d’innover pour élargir le catalogue des solutions… Quand on peut, on essaie de faire ce qui est le plus vertueux au sens de l’analyse coûts-bénéfices, et sinon on concède soit de la qualité de service, soit de l'investissement. Pour construire une nouvelle ligne, le projet est confronté à des trajectoires climatiques, et on arbitre, là encore : nous souhaitons que ces lignes soient robustes et proposent une haute qualité de service, nous cherchons à intégrer le changement climatique dès l’origine dans la conception, sous réserve des conditions économiques.
Trois leviers d'adaptation majeurs pour SNCF Réseau
- L'adaptation des actifs ferroviaires : nous remplaçons les composants du réseau ferré par des composants plus résilients à l’occasion des opérations de régénération prévues, et lançons également des travaux de grande ampleur ou des ajustements ciblés. (climatisation des installations électriques, peinture blanche, etc).
- L’adaptation de l’entretien et de la surveillance des infrastructures : nous renforçons la surveillance des caténaires en cas de canicule, des ouvrages en terre ou hydrauliques en cas de pluie, ou encore le traitement de la végétation dans les zones les plus sensibles aux épisodes météorologiques extrêmes.
- L’adaptation de l’exploitation et des fonctionnalités du réseau : nous annulons certaines circulations en cas d’avis de tempête, ou ralentissons la vitesse des trains en cas de canicule pour limiter les risques au niveau des caténaires, en concertation avec les autorités locales.
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Collaborez-vous aussi avec les territoires ?
Benoit Chevalier : Le plus possible, car le traitement efficace d'un aléa se fait souvent à l'échelle locale. En tant que gestionnaire d'infrastructure, on a le devoir de travailler à notre propre protection, mais aussi celui de fédérer autant que possible autour de nous des acteurs locaux, en particulier quand on est face à des risques de submersion ou de feux, par exemple dans la région Sud, ou encore avec le monde agricole pour le traitement des ruissellements par exemple. Notre but, c’est de collaborer avec toutes les initiatives territoriales visant à adopter une dimension collective de lutte. C'est une démarche fédératrice pour l'entreprise mais aussi pour les territoires.
Comment partagez-vous vos travaux dans le Groupe ?
Benoit Chevalier : L'adaptation au changement climatique touche tous les métiers de l'entreprise, et concevoir des produits résilients fait partie du quotidien des ingénieurs de la SNCF. Au lieu de créer une équipe dédiée, on a choisi, au contraire, d’avoir un réseau de relais qui peuvent infuser cette philosophie dans toutes les activités de l'entreprise. C’est également une manière d'éviter la tentation qui consisterait à lancer d’abord des travaux pharaoniques et polluants pour adapter le réseau. On doit s’adapter en restant vertueux et en relevant les autres défis, tels que le doublement de la part modale du train, tout en réduisant notre impact sur l’environnement. Cela veut dire continuer à investir pour un réseau plus robuste et plus capacitaire. Nous menons de front tous ces sujets.
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