Eurostar sortant du tunnel

L’ERTMS

Projet essentiel à l’interopérabilité ferroviaire, l’ERTMS, pour European Rail Traffic Management System en anglais, vise l’uniformisation de la signalisation ferroviaire en Europe. En quoi cette initiative européenne peut-elle améliorer la performance du réseau ? Éléments de réponse.

Un Eurostar relie Paris et Amsterdam…

Aujourd’hui, ce train circulant dans trois pays doit embarquer quatre systèmes de signalisation différents - et incompatibles - de lecture de la signalisation et de prise en charge du freinage. Des équipements électromécaniques, électroniques ou informatiques, notamment raccordés au système de freinage, essentiels pour la sécurité.

35 systèmes différents

Historiquement, chaque pays européen a développé son ou ses systèmes de signalisation, selon ses besoins, sa sensibilité et sa technologie propres. Résultat : on a 35 systèmes de signalisation différents en Europe.

Un système unique

Créer un réseau ferroviaire unique nécessite donc également de créer une signalisation unique, pour tous les trains qui circulent sur ce réseau. C’est là l’ambition du système européen de gestion du trafic ferroviaire, appelé ERTMS.

Le fonctionnement de la signalisation

Sur la route, c’est la responsabilité du conducteur de s’arrêter à temps en fonction des informations disponibles (panneaux et feux routiers, ou feu arrière de la voiture précédente). Pour le trafic ferroviaire, le conducteur du train est supervisé et assisté : à tout instant, sa vitesse est contrôlée, et si elle dépasse la consigne, après une première alerte sonore, l’automatisme prend en charge le freinage grâce à la signalisation ferroviaire historique et, sous une autre forme, l’ERTMS.

Une initiative européenne

L’ERTMS est un projet à l’initiative de l’Europe ayant pour objectif d’unifier les systèmes de signalisation et de sécurité afin de :

  • réduire les coûts unitaires d’acquisition des équipements de signalisation
  • éviter les coûts de développement d’un système technologique différent dans chaque pays
  • réduire les barrières à l’entrée de tout nouvel opérateur
  • permettre l'interopérabilité ferroviaire à l’échelle européenne

Questions à Gabriel du Plessis

Il est directeur adjoint interopérabilité normalisation à la Direction Technologies, Innovation et Projets Groupe de la SNCF.

Comment fonctionne l’ERTMS ?

La signalisation nécessite des échanges d’information entre le sol et le bord, à l’image d’un feu rouge routier qui informe le conducteur, ou un radar routier qui « s’informe » de la vitesse de la voiture.

En matière d’ERTMS, il y a un niveau 1, dans lequel le conducteur reçoit les informations et consignes directement en cabine grâce à un outil d’échange des informations en temps réel constitué par des balises placées le long de la voie qui recopient l’état des signaux.

Et le niveau 2 ?

Ces mêmes échanges d’informations ont lieu cette fois par radio, via le réseau GSMR, par lequel transitent les échanges d’informations entre le train et l’ordinateur de gestion de la zone (appelé RBC pour Radio Block Center, ndr). À chaque instant, le train fait un rapport de position par mode radio pour indiquer, par exemple, le franchissement d’une des balises servant de point de repère géographique à un moment T, et le nombre de tours de roue effectué depuis.

À quoi servent ces données ?

Ainsi conjuguées, elles permettent de calculer la position exacte du train, dont les roues ont un diamètre connu. Toujours par message radio, le sol va indiquer au train, en retour, qu’il a une autorisation de marche à telle vitesse sur tant de kilomètres, ou qu’il va devoir ralentir pour atteindre telle vitesse à partir d’une distance, calculée à partir des informations transmises.

En quoi cela change-t-il la conduite ?

Avec l’ERTMS niveau 2, la conduite devient analogue à la voiture. Quand vous êtes au volant de votre voiture et qu’un feu rouge est à l’horizon, vous roulez souvent sur l’erre1, en espérant qu’il va passer au vert, et que vous n’aurez pas à vous arrêter, mais pourrez reprendre votre vitesse dès le changement d’état du feu. En train, c’est différent, parce qu’avant un feu rouge, vous avez toujours un feu jaune de ralentissement, et donc votre vitesse ralentie est contrôlée par le système. Mais avec l’ERTMS, les conducteurs peuvent anticiper et c’est plus fluide.

Peut-on faire circuler plus de trains ?

À la condition que le trafic soit homogène, c’est-à-dire que tous les trains aient la même vitesse commerciale moyenne, vous pouvez effectivement, grâce à l’ERTMS de niveau 2, les rapprocher et en mettre davantage en profitant de la diminution d’intervalle entre les trains.

Et donc désaturer un axe ?

C’est ce qui va se passer sur l’axe Paris-Lyon : l’ERTMS de niveau 2 va permettre de faire circuler 20% de trains en plus, sans voie supplémentaire… Mais, attention, cela ne fonctionne pas dans le cas d’un trafic hétérogène, car un train direct, qui va plus vite, par définition, qu’un train omnibus, va finir par rattraper celui-ci et devra donc patienter derrière. Comme les automobilistes patientent derrière un camion sur une autoroute, à la différence notable qu’une voiture peut dépasser un poids lourd…

Série « C’est quoi le réseau haute performance ? ». Épisode 2, le système ERTMS

L’ERTMS de niveau 3

Ce système permet des blocs mobiles, soit des intervalles entre trains qui dépendent non seulement de la géographie de la ligne, mais aussi de la vitesse respective des deux trains. C’est analogue à ce que chacun pratique en conduite automobile : l’intervalle entre les voitures n’est pas le même en ville et sur l’autoroute.

La fin des cantons physiques

Ainsi, l’ERTMS de niveau 3 marque la fin des cantons physiques. Qu’appelle-t-on un canton dans le monde ferroviaire ? C’est la longueur de voie incontournable et indissociable, l’unité de compte des lignes de chemin de fer. Aujourd'hui, le canton mesure environ 1500 m en France, soit la distance qui permet d’être certain que n’importe quel train pourra s’arrêter, même les plus lourds.

Savoir où se trouve un train…

Aucun train ne peut entrer dans ce segment de 1500 m si un autre train s’y trouve. Mais si on peut savoir exactement, grâce à l’ERTMS de niveau 3, où se trouve un train sur la ligne, on peut alors laisser entrer le train suiveur sur une première partie du segment de 1500 m. À condition d’être certain, compte tenu des capacités de freinage du deuxième train, qu’il pourra être arrêté avant de risquer une collision.

… pour réduire la distance entre 2 trains

Savoir où est le train, quelle est sa longueur, mais également où se trouve l’arrière du train situé devant va donc permettre de réduire les distances entre deux trains.

En affinant en temps réel la distance entre chaque train, on améliore la capacité, on perd moins de temps, et on fluidifie les circulations. L’ERTMS de niveau 3 est donc essentiel pour répondre à une demande de mobilité croissante en permettant d’ajouter des trains sur les voies.

Le calendrier du déploiement

L’Union européenne fixe un calendrier de déploiement qui commence par les lignes les plus circulées, et se termine avec les lignes moyennement circulées. En tout, cela représente environ 100000 km de lignes à équiper en Europe, dont 17000 km en France, d’ici 2040 ou 2050.

Une arrivée progressive

Pour équiper en ERTMS il faut équiper les voies, mais aussi le matériel roulant, ce qui demande une véritable coordination temporelle. Les pays européens visent en général un équipement unique des voies, au prix d’un équipement transitoire en double des trains. L’objectif, c’est de faire en sorte que, le jour où est arrêté le système historique au sol, remplacé par l’ERTMS, la totalité des trains qui roulent sur ces lignes soient, eux aussi, pourvus de l’ERTMS.

La ligne Cannes-Vintimille

On équipe donc par anticipation les trains, comme c’est le cas actuellement sur la ligne Cannes-Vintimille, qui va être équipée d’ERTMS niveau 3 hybride2. Le grand soir aura lieu en 2026 ou en 2027 : pour la première fois, on “éteindra” les signaux sur une ligne classique en France.

Un nouveau système de signalisation sur la ligne Marseille - Vintimille : ERTMS 3 Hybride

Paris-Bordeaux en 2h grâce à l’ERTMS

La LGV Est Européenne entre Paris et Strasbourg a été, en 2007, la première ligne équipée en France avec l’ERTMS de niveau 2, bien que son exploitation commerciale en ERTMS ait véritablement débuté en 2013-2014.

L’installation de l’ERTMS sur les LGV Tours-Bordeaux et Le Mans-Rennes, inaugurées en 2017, était le seul moyen de garantir des trajets Paris-Bordeaux en deux heures. Pour relier ces deux villes en deux heures, le train doit rouler à une vitesse de 320 km/h de Tours à Bordeaux, et non plus 300 km/h comme sur Paris-Tours.

Le modèle économique de l’ERTMS

L’hypothèse, c’est que l’ERTMS permet d’augmenter les recettes et de baisser les coûts pour les opérateurs de chemin de fer. Hausse des recettes, car plus de trains pourront circuler en même temps, et l’uniformisation de la circulation en Europe facilitera le recours au train, en abolissant les « frontières » ferroviaires. Baisse des coûts, car l’ERTMS permet de créer un marché unique et plus vaste des « produits » ferroviaires : les industriels passeront de 27 marchés nationaux à un marché européen. Ce qui devrait permettre une diminution du coût de production unitaire.

Où en est-on ?

La date lointaine du retour sur investissement modère la disponibilité des montants à investir en raison des règles de saine gestion financière des opérateurs ferroviaires. Des mécanismes de subventions européennes contribuent en partie à compenser cette longueur des délais de retours sur investissement afin de déclencher l’envie d’investir ; à un niveau de 10%, voire 30% exceptionnellement, ces aides peuvent permettre de boucler le financement d’un certain nombre de projets de déploiement de l’ERTMS.