Conductrice de la traction au Centre Gevery Chambertin

« Il faut offrir plus de trains aux petites filles »

Avec 95% d’hommes, la Traction reste un univers très masculin. Pour combattre les représentations genrées des métiers de la conduite, Anne-Lise Guedikian, Astrid Lehouque et Anabelle Cordier Choain, les représentantes de l’ambassade Traction chez SNCF Mixité, multiplient les initiatives concrètes. Entretien.

Les ambassadrices de la Traction chez SNCF Mixité sont à pied d’œuvre pour donner envie aux femmes de devenir conductrices de trains. Elles nous expliquent l’importance des rôles modèles pour susciter des vocations. Entretien.

Quel est le rôle de l’ambassade Traction ?

Anabelle : Nous représentons le métier de conductrice de train dans la France entière. Aujourd’hui, à la Traction, on compte 353 femmes pour environ 12 000 hommes. Travailler dans un milieu aussi masculin présente des enjeux dont les conducteurs ne sont pas nécessairement conscients. Nous accompagnons les femmes, bien souvent très isolées, pour les aider à évoluer dans ces carrières.

Quels problèmes rencontrent les conductrices ?

Anne-Lise : Elles sont confrontées à ce que j’appelle « la bienveillance mal placée ». Un homme dit, par exemple, à une jeune femme en formation : « Tu devrais éviter de trop te maquiller. » Ou bien : « Tu ferais mieux de ne pas mettre un pantalon trop serré », etc. Bien entendu, c'est dans le but de les protéger, car elles ne travaillent qu’avec des hommes. Mais ça reste du paternalisme.

Anabelle : Ce genre de remarques est très représentatif du sexisme auquel on se heurte, en tant que femme, à la Traction.

Comment luttez-vous contre ce sexisme ?

Anne-Lise : On souhaite mettre en place un accueil personnalisé de tous les stagiaires pour leur présenter le réseau SNCF Mixité et ses actions et expliquer aux jeunes en formation que nous sommes là en cas de souci. Le partage d’expériences ou encore l’organisation d’ateliers de développement personnel sont aussi au cœur de notre action. Ça aide les conductrices, trop souvent livrées à elles-mêmes en cabine ou dans leur unité de production (UP), à se sentir moins seules.

Comment le faire partout ?

Anabelle : Nous travaillons avec des relais en région, auxquels nous transmettons les actualités du réseau. Dans l’autre sens, nous valorisons aussi à l’échelle nationale les actions qui ont été organisées dans les territoires. Le but, c’est de partager les bonnes pratiques. Par exemple, Anne-Lise a organisé des cafés pendant la Semaine de la mixité à la Direction de la Traction pour sensibiliser les équipes sur certains thèmes. Et on intervient ensemble dans les comités de direction des établissements Traction, toujours pour parler de mixité.

Y a-t-il aussi des actions à l’extérieur ?

Anne-Lise : Oui, chaque année, on organise les Potentielles, afin de faire connaître les métiers techniques de SNCF aux collégiennes, lycéennes, étudiantes et susciter des vocations.

Astrid : On a aussi lancé un job dating à l’ex-établissement Traction de Paris Sud Est. Il s’agissait d’entretiens de pré-sélection de futurs conducteurs et conductrices. On a essayé de faire venir des femmes au moyen de campagnes dans les journaux parisiens. Ça a porté ses fruits, la moitié des participants étaient des femmes.

Comment encourager les jeunes femmes ?

Anabelle : Il faut offrir plus de petits trains aux filles !

Anne-Lise : Ce sont ces petites choses qui peuvent pousser les filles à s’imaginer conductrices. Tout un travail est aussi à mener au niveau de l’orientation professionnelle. Voilà pourquoi certaines conductrices vont en milieu scolaire encourager les conseillers d’orientation à diriger les jeunes qui ne savent pas quoi faire vers la conduite. D’autant qu’il n’est plus nécessaire d’avoir un bagage très technique pour faire ce métier. Aujourd’hui, on va chercher des candidats qui ont des compétences diverses.

Par exemple ?

Anne-Lise : On se rend compte que quelqu’un qui a fait un parcours littéraire, a les capacités pour ingurgiter toutes les informations nécessaires lors des formations. Ou encore, que quelqu’un qui a été habitué aux gestes répétitifs en travaillant à l’usine va être capable d’appliquer des process sans jamais avoir mis la main sur un tableau de bord. Bref, ce n'est plus une question de savoir technique, les profils les plus atypiques sont les bienvenus.

Y a-t-il des parcours originaux ?

Anabelle : Plein. Je pense à une ancienne serveuse qui, en discutant avec des conducteurs, a découvert, par hasard, qu’elle pouvait faire ce métier. Mais au-delà de ces profils particuliers et de ces histoires inspirantes, nous voulons rappeler que n’importe qui peut postuler à ce métier avec son baccalauréat. Et qu’être une femme ne doit pas être un frein.

Anne-Lise : Pour de plus en plus de candidates, c’est le premier emploi auquel elles postulent. Et c'est pour œuvrer dans ce sens que je me rends toujours sur des salons de recrutement avec des conductrices.

C’est l’intérêt du rôle modèle…

Anne-Lise : Exactement. Et ça ne rate pas, quand les jeunes femmes voient la conductrice à mes côtés, les questions fusent : « Ah bon ? Vous, vous conduisez des trains ? ». C’est comme ça qu’on suscite des vocations chez des candidates insoupçonnées. Quand j’interpelle des jeunes filles sur des salons en leur demandant : « Ça ne vous dirait pas de devenir conductrices ? », elles sont toujours surprises. Elle arrivent là pour devenir commerciales, et je leur dis qu’elles peuvent conduire un train avec leur CV. Que, comme tous les autres métiers, ça s’apprend.

Comment les conductrices sont-elles vues ?

Astrid : Si elles sont nombreuses, leur présence est normalisée. Et les hommes se montrent bienveillants, sans être condescendants. Dans les régions, c’est différent, car elles sont encore trop minoritaires.

Anne-Lise : Notre but, c’est d’encourager nos conductrices isolées à parler de leur métier, y compris quand ça ne se passe pas forcément bien, pour donner envie aux femmes de postuler. C’est un cercle vertueux : plus il y aura de conductrices, plus les mentalités changeront.

MeToo a-t-il libéré la parole ?

Anabelle : Le collectif féminin à la conduite est trop faible pour créer cet effet de masse aujourd’hui. Les établissements où il y a des problèmes ne comptent pas assez de conductrices pour que la parole s’ouvre. Les filles en parlent entre elles, mais cela s’arrête là.

La prise de conscience est lente…

Anne-Lise : Mais la société évolue, et la SNCF aussi. Donc ces agissements sont moins répandus qu’avant. Il reste des cas isolés, mais ils sont rapidement pris en charge.

Astrid : Aujourd’hui, grâce à MeToo, les femmes ont tendance à parler plus vite de ce qui ne va pas. Et la SNCF prend des mesures, par exemple pour sanctionner les agissements de certains. En revanche le « sexisme lancinant » reste présent.

Qu’entendez-vous par là ?

Anabelle : Ce sont les petites blagues anodines et quotidiennes. Personnellement, je ne ris plus aux saillies sexistes, quitte à être à contre-courant du groupe. Ne serait-ce que par égard pour mes alternantes. Parce qu’on travaille parfois avec des jeunes filles de 18 ans, propulsées du jour au lendemain dans des univers très masculins. Je ne veux pas qu’elles entendent des propos machistes, certes inoffensifs, mais qui contribuent à rendre l'atmosphère au travail inconfortable. Notre rôle chez SNCF Mixité est de pointer du doigt ce qui nous dérange.

Y a-t-il des hommes au sein de votre ambassade ?

Anabelle : Notre but, c’est de compter 50% d’ambassadeurs, car on ne peut pas parler de mixité sans eux. Les hommes sont 95% à la Traction, s’ils ne nous rejoignent pas, on n’arrivera à rien ! Ainsi lorsqu’on invite les conductrices aux conventions, on leur demande toujours d’emmener avec elles un conducteur. Parce qu’au début, on nous a dit qu’on faisait des « réunions Tupperware ». Or, ces rencontres ont un rôle crucial pour permettre aux conductrices de se parler entre elles et de partager leurs anecdotes. C’est dans ces moments que la parole se libère le plus.

Et que les conductrices soient à l’aise…

Anne-Lise : C’est notre stratégie, pour qu’elles parlent de leur métier et contribuent à faire venir d’autres femmes. Quand elles seront plus nombreuses à la Traction, là on pourra aborder les autres sujets cruciaux, comme la parentalité. Mais dans un premier temps, il faut déjà donner envie aux femmes de devenir conductrices.

Diane, conductrice de trains chez SNCF