TGV le long de la côté méditerranéenne

Comment l’ERTMS va moderniser la ligne Marseille Vintimille

Chantier ferroviaire majeur, la Ligne Nouvelle Provence Alpes Côte d’Azur repose en grande partie sur l’installation de l’ERTMS. Révolution technologique, ce système européen de gestion du trafic permet de rapprocher les trains et d’augmenter le trafic. Explications.

Pour la première fois en France, l’ERTMS, le système européen de gestion du trafic ferroviaire, va être installé sur des voies de chemin de fer existantes. C’est le projet HPMV, pour Haute performance Marseille Vintimille, financé par l’Union européenne, l’État français et SNCF Réseau, qui va servir de vitrine de la modernisation du réseau ferré. Alors que les travaux ont débuté, le directeur du projet, Jacques Paulet, nous explique comment ce système de signalisation va accroître le trafic sur la ligne tout en participant à l’uniformisation du réseau ferroviaire européen.

Comment est né le projet HPMV ?

Jacques Paulet : Entre Marseille et Vintimille, on utilise le système de bloc automatique lumineux BAL/KVB, datant des années 1960. Or, la commande centralisée, l’un des programmes-phares de SNCF Réseau, s’est imposée pour digitaliser les installations ferroviaires qui guident les trains.

Il fallait donc moderniser la ligne…

Oui, et on a décidé d’installer conjointement l’ERTMS, le standard de signalisation européenne au service de l'interopérabilité ferroviaire. Car s’est ajoutée la nécessité d’augmenter le nombre de trains circulant sur la ligne, trop faible aujourd’hui par rapport aux besoins des voyageurs et du Conseil régional. L’imbrication des différents trains, les TGV et les TER notamment, est complexe, et avec la signalisation actuelle, on est bridés à 5 trains en circulation par heure, un chiffre incompatible avec l’accroissement du trafic.

Comment l’ERTMS augmente le nombre de trains ?

Jacques Paulet : Ils circulent à un intervalle compris entre 1 minute 30 et 2 minutes, au lieu d’un intervalle compris entre 4 et 5 minutes aujourd’hui : on divise par deux le temps entre deux trains qui se succèdent sur la ligne. On peut donc construire des horaires et des cadencements densifiés. L’État et SNCF Réseau ont ainsi souhaité faire de cet axe très fréquenté le démonstrateur pour préparer l’industrialisation et le déploiement à grande échelle de ce système de signalisation, et la vitrine de la modernisation du réseau ferroviaire dans les décennies à venir.

Pourquoi précisément cet axe ?

L’installation de l’ERTMS sur la ligne est un projet qui ne repose ni sur des acquisitions foncières, ni sur des travaux de génie civil, et pourtant, à la clef, c’est la promesse de doubler la fréquence de circulation des trains.

Quel est votre calendrier pour l’installation ?

Jacques Paulet : Notre projet est découpé en trois parties, correspondant aux trois départements sur lesquels circule la ligne Marseille-Vintimille : les Alpes-Maritimes, le Var et les Bouches-du-Rhône. Il doit démarrer dans les Alpes-Maritimes fin 2027, et s’achever fin 2030. Cela exige qu’à ces dates, les trains soient équipés en ERTMS pour être prêts à circuler dès que le nouveau système sera lancé et l’ancien « débranché ».

Comment est financé le projet HPMV ?

Jacques Paulet : Pour le premier lot concernant les Alpes-Maritimes, nous avons reçu une aide de l’État, via le 4e programme d’investissement d’avenir (PIA) appelé France 2030, car, en tant que démonstrateur de la digitalisation complète du réseau, nous participons aux efforts d’innovation. Cela représente une enveloppe de l’ordre de 100 M€. L’Union européenne participe également au financement du projet à hauteur de 43 M€, et le reste provient de SNCF Réseau au titre de la régénération du réseau.

Comment équipe-t-on les trains ?

Deux options existent : moderniser les rames existantes pour installer à bord les bons décodeurs ERTMS, ou lancer des programmes d’acquisition de nouveaux matériels équipés dès leur construction. Et on fait les deux. Précisons que le Conseil régional Sud en tant qu’autorité organisant le transport régional en région Sud finance ces adaptations sur 31 rames existantes et fera l'acquisition de 15 nouvelles rames livrées en 2025.

Les travaux nécessaires sont-ils conséquents ?

Ils gênent très peu les activités commerciales. On construit tout en « shadow », en dehors de l’exploitation. Donc il n’y a pas de ralentissement sur le réseau. Les chantiers vers Cannes et Grasse, ont concerné l’installation d’antennes radio, de tranchées sous les voies, etc. Bref, les « coulisses » du système. En parallèle, des groupes industriels, Hitachi, Atos Eviden, Thales et Frauscher, construisent les différentes briques technologiques : le futur poste d’aiguillage digital de Marseille, les calculateurs ERTMS et de signalisation, les compteurs d’essieux, etc.

  • 100 M€

    Le coût du premier lot du projet

  • 43 M€

    Le montant du financement de l’Union européenne

  • 15

    nouvelles rames seront livrées en 2025

Comment passer de l’ancien système au nouveau ?

Jacques Paulet : En 2027, on va couper les services pendant quelques jours pour enclencher le système de Cannes jusqu’à Vintimille, et faire toutes les vérifications de sécurité. Cette zone est un enjeu de taille car elle sert aux TER, TGV, trains de nuit, et comprend aussi des infrastructures de dépôt, et de garage des trains, etc. C’est complexe en termes d’aiguillages et de signaux. Notre défi, c’est de limiter encore plus l’impact sur le réseau lors des deux étapes suivantes, dans le Var et les Bouches-du-Rhône.

En quoi ce projet est-il plus complexe que les autres ?

Jacques Paulet : Les lignes Paris-Strasbourg, Tours-Bordeaux et Le Mans-Rennes étaient nouvelles, donc leur infrastructure était déjà adaptée et les enjeux technologiques simplifiés du fait de l’absence de gares importantes. Nous sommes particulièrement avant-gardistes, y compris à l’échelle européenne, sur la partie concernant le déploiement de la technologie dans des gares historiques.

À Nice, par exemple ?

En raison de la complexité que représente l’installation de l’ERTMS à la gare de Nice, la ligne Marseille-Vintimille va avoir une valeur de démonstration pour d'autres sites ferroviaires en France. On a donc par exemple examiné aussi bien la gare de Nantes que celle de Rouen, pour s’assurer que nos règles de conception étaient reproductibles.

En quoi l’ERTMS est un saut de performance ?

Jacques Paulet : Le projet HPMV va révolutionner tous les métiers du ferroviaire autour de la circulation des trains et de l’entretien des installations de signalisation, ainsi que la conduite des trains, bien entendu. Tout reposera sur un univers informatique, avec des métiers complètement différents, fondés sur les télécoms. Avec l’ERTMS, pour conduire un train, on ne regarde plus par la fenêtre les indications des feux lumineux, on regarde des écrans indicateurs à bord.

Tout devient digitalisé…

C’est une révolution fondée sur une énorme quantité de données que différents systèmes vont collationner, en direct ou en différé. Il va y avoir des systèmes d’aide à la maintenance et d’aide à la conduite, de gestion de crise, etc. On va améliorer la sécurité, puisqu’on va interagir avec les passages à niveau et que le poste d’aiguillage supervisera les trains en permanence. Le conducteur recevra les informations en direct, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui, où il doit attendre de passer devant un signal pour recevoir des instructions.

Et en termes de fiabilité ?

Jacques Paulet : Ce 100% digital qui permet de dédoubler les systèmes en cas de défaillance. Aujourd'hui, on ne peut pas dédoubler une salle d'aiguillage comportant des milliers de relais. Demain, le calculateur de sécurité de la taille d’un ordinateur sera en place et sera redondé par un second équipement prêt à prendre le relais en cas de défaillance. La digitalisation permet en effet la redondance d'exploitation qui a un impact direct sur la robustesse et la fiabilité.

Et en matière de développement durable ?

Jacques Paulet : Avec une signalisation classique, cette modernisation, c’était 70% de tonnes de CO2 émis en plus. En termes de consommations d'énergie, puisqu'on n'a plus besoin de lampes, et qu'on a désormais un seul poste d'aiguillage à Marseille, au lieu de plusieurs disposés tout le long de la ligne, la baisse est drastique.

De plus, l'ERTMS permet de rationaliser les linéaires qui exigeaient autrefois des précautions en termes de longueur de voies au niveau des gares. Cet effet vertueux de l'implémentation de l'ERTMS se chiffre en dizaines de millions d'euros d’économies.

Quelles sont vos relations avec les Italiens ?

Jacques Paulet : Ce projet permet un dialogue très constructif avec Rete ferroviaria italiana (RFI). En effet la ligne ne s’arrête pas à la frontière et nous sommes en relation avec nos collègues italiens qui portent le même projet sur le sol italien, jusqu’à Gênes. À terme, en 2028, le système franchira la frontière, et les deux régions, Sud et Ligurie, pourront envisager des dessertes plus prolongées sans nécessité de changement à Vintimille. C'est un exemple d’ERTMS choisie et non pas subie en raison des injonctions européennes.

C’est-à-dire ?

Notre projet permet de développer les capacités de trafic sur la ligne et densifier les circulations. Mais il répond aussi à un besoin de nouer des relations transfrontalières pour satisfaire les attentes de la clientèle italienne souhaitant se rendre en France, et celles de la clientèle française voulant rejoindre l’Italie, que ce soit pour des motifs touristiques ou professionnels. En cela, notre projet sert véritablement l’interopérabilité ferroviaire européenne.

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