TGV ICE en gare

Réglementations européennes et interopérabilité

Nos équipes travaillent avec de nombreux partenaires pour rédiger les nouvelles règles techniques qui permettront au futur réseau unique européen d’être plus efficace, sûr et performant. Retour sur une révolution en cours.

Construire un réseau ferroviaire unique

Système de gestion du trafic, attelage automatique de fret, architecture informatique … La SNCF joue un rôle clef dans les projets technologiques européens, nous explique Gilles Quesnel, directeur « Interopérabilité Normalisation et Recherche Europe ».

Qu’est-ce-que l’interopérabilité ?

C’est la circulation d’un train, librement et en tout sécurité, sur l’ensemble des voies de l’Union européenne. L’objectif, c’est le  « sans coutures » aussi bien pour le matériel roulant que pour les infrastructures, totalement compatibles et accessibles à tout matériel roulant. Pour cela, on harmonise les règles progressivement dans une logique de collaboration européenne.

Pourquoi est-ce essentiel ?

Le chemin de fer a été construit à l’origine pays par pays et les différences subsistent : il y a l’exemple de l’écartement des rails, qui sont différents en France et en Espagne, mais aussi la signalisation dans les trains, les systèmes de sécurité, etc. Pour faire circuler un train partout en Europe, il faut jusqu’à 6 ou 7 systèmes de sécurité distincts à bord. C’est ingérable économiquement comme techniquement.

Quand est né cet objectif ?

D’abord il y a une volonté politique et des mesures législatives, telle la directive 91/4401, qui, en 1991, sépare la gestion des infrastructures ferroviaires et celle de l’exploitation des services de transport, permettant l’ouverture à la concurrence. Il s’agit de simplifier l’accès aux trains pour les clients et de fluidifier la circulation ferroviaire de marchandises partout en Europe. Dès le départ, l’Union européenne a bien compris l’avantage économique à tirer d’un réseau à l’échelle du continent.

Il y a aussi l’enjeu environnemental…

Dans le cadre du Green Deal, qui vise la neutralité carbone d’ici 2050, l’Union européenne a, en effet, fait du transport ferroviaire l’une des solutions destinées à lutter contre le changement climatique. Ce qui renforce d’autant plus l'intérêt de l'interopérabilité, gage de performance et d’efficience pour le ferroviaire.

En savoir plus sur le Green Deal

Comment harmonise-t-on ?

Via ce que l’on appelle les « paquets ferroviaires », qui modifient la réglementation. Entre la directive 91/4401 et le 1er paquet ferroviaire2, il y a dix ans. Le temps pour la Commission européenne de passer de l’ambition politique à des actes concrets et techniques. En 2001, le 1er  paquet concernait la libération du transport international de fret et donc, l’ouverture à la concurrence. En 2004, le 2e paquet concerne la libération totale du fret au niveau national.

Le fret était donc le premier enjeu…

Certes, mais la Commission européenne a souhaité faire de même côté voyageurs, d’où le 3e paquet ferroviaire en 2007, sur la libération du transport international de voyageurs. En 2013, le 4e paquet met en œuvre la libération complète du transport de voyageurs et cela, sans se poser la question du passage ou non de frontières.

C’est donc un nouveau défi ?

Toutes les entreprises voulant se positionner sur un marché, la SNCF ou les autres opérateurs nationaux ou étrangers, ont en effet la responsabilité de faciliter la mise en place de cet espace ferroviaire européen unique. D’où l’importance d’une réglementation européenne technique sur l’interopérabilité…

C’est-à-dire ?

L’objectif des spécifications techniques d’interopérabilité (STI, ndr), c’est que les mêmes règles s’appliquent pour tous les pays. Par exemple, disposer de matériels identiques pour pouvoir circuler n’importe où en Europe, sans que les entreprises concernées doivent dépenser de l’argent pour les transformer. Il y a aussi l’enjeu de la performance et du service, important pour l’ensemble des acteurs du ferroviaire. Une réglementation unique aidera les entreprises à améliorer leurs performances intrinsèques, car l’aspect réglementaire ne sera plus un facteur différenciant.

Les STI jouent donc un rôle crucial…

Aujourd'hui, nous en avons 11 définies par l’UE et classées par thèmes. L’une concerne le matériel roulant, une autre décrit les caractéristiques techniques des wagons, une autre celles des infrastructures, d’autres STI sont plus orientées sur le service, la sécurité, l’exploitation au quotidien, etc. La directive d’interopérabilité, mise à jour dans le 4e paquet ferroviaire, a permis de développer ce volet technique.

Comment sont déterminées les STI ?

Prenez les matériels innovants, tels TELLi, DRAISY et FLEXY, conçus pour les lignes de desserte fine du territoire. Ici, se pose la question de la réglementation européenne. Faut-il en créer une nouvelle ou intégrer des spécificités dans la réglementation existante ? Il faut choisir… ou ne pas intervenir. Il arrive aussi que l’UE renonce à contraindre techniquement les opérateurs via une réglementation.

Comment cela ?

Des opérateurs peuvent se mettre d’accord sur un standard et demander ensuite à leur fabricant de matériel roulant ou de matériel au sol de le respecter. D’ailleurs, grâce à l’Union internationale des chemins de fer (UIC)3, de nombreux travaux de standardisation sont mis en place sans l’aide d’une réglementation européenne. Les opérateurs n’ont pas attendu l’UE pour fabriquer ensemble un chemin de fer européen. Mais la réglementation rend cela obligatoire.

Comment s’élabore-t-elle ?

D’abord on se demande : « faut-il créer un standard ? » Prenons à nouveau l’exemple de DRAISY. Afin de l’exporter un jour, nous allons rédiger des standards concernant l’alimentation en batteries, les prises, les vitesses, les systèmes de signalisation embarqués, etc. Puis on se demande : « faut-il intégrer ces standards à la réglementation européenne ? ». Tous les collègues travaillent ensemble, sur l’innovation européenne, les standards internationaux et la réglementation européenne.

Les experts sont donc là dès le début...

Ils réfléchissent à l’impact d’une innovation sur la réglementation et défendent ensuite les intérêts de l’entreprise. Nous faisons appel à l’ensemble des expertises au sein du groupe SNCF. Des collègues imaginent librement les nouveaux systèmes de demain, et d’autres, des techniciens ou dessinateurs, convertissent ensuite tel ou tel projet en une réalisation industrielle. Pour TELLi, par exemple, peut-être faudra-t-il un jour adapter les STI pour le produire à la chaîne dans des usines…

Comment cela se passe-t-il ?

Tout se passe avec l’ERA (Agence européenne du rail4, Ndr), l’organisme qui prépare les STI. Nous collaborons avec eux par l'intermédiaire des associations représentatives du secteur. Elles sont au total une quinzaine et peuvent négocier avec l’ERA sur les contenus de la réglementation européenne. Nous intervenons également auprès de l’ERA par le biais des autorités nationales de sécurité, puisque l’agence traite aussi bien les sujets d’interopérabilité que de sécurité.

Quelles seront les prochaines étapes ?

Depuis 2019, on discute avec l’ERA du contenu de chacune des 11 STI. L’agence est désormais en train de rédiger ses versions projets, qu’elle transmettra à la Commission européenne. Charge à cette dernière d’en discuter, ensuite, avec les Etats membres de l’UE, dont la France, bien entendu.

Quel rôle exact joue la SNCF ?

La balle est passée du « camp technique » au « camp décisionnel ». Nous accompagnons l’Etat français, en lui fournissant tous les éléments techniques d’analyse sur les différentes versions, étapes par étapes, qui sont ou seront produites par la Commission européenne. Pour que l’Etat français puisse prendre ses décisions en connaissant les conséquences à long terme des différentes parties de chaque STI.

Avez-vous remporté une victoire récente ?

En 2012, l’UE a décidé de remplacer les lanternes de queue5 des trains de fret par des plaques peintes, sans batterie, sans lampe et donc moins visibles, obligatoires à partir du 1er janvier 2026. En contrepartie, les feux avant doivent mieux éclairer. Qui dit travaux, dit coûts. Nous avons intégré une demande pour que la modification des feux soit la moins chère possible, acceptée par l’ERA. Cette décision va profiter aussi bien à la RATP qu’aux Autorités Organisatrices de Transports (AOT)6 et représente 40 millions d’euros d’économies pour la SNCF.

Quelles innovations sont à l’étude ?

On travaille beaucoup sur l’attelage automatique digital de fret (Digital Automatic Coupling ou DAC, Ndr). Partout en Europe, on pourra l’utiliser pour accrocher les wagons les uns aux autres, les décrocher, les laisser dans un triage et repartir avec le reste du train, etc. C’est un maillon essentiel, car si nous voulons augmenter le nombre de trains sur le réseau ferroviaire européen, deux options s’ouvrent à nous : soit construire de nouvelles voies, soit mieux remplir les voies actuelles.

Créer de nouvelles voies a un coût...

Oui, donc autant utiliser au maximum les voies existantes. Pour augmenter le nombre de trains, il faut réduire la distance entre eux. Pour cela, on a besoin de connaître l’intégrité du train. Le DAC transmettra cette information clef et sera donc aussi au bénéfice du voyageur car il permettra de faire circuler plus de trains sur le réseau. Ces briques technologiques innovantes répondent à un besoin spécifique et profitent à d’autres secteurs du système ferroviaire.

Comme l’ERTMS⁷ ?

Connaître l’intégrité du train sert en effet au fonctionnement de l’ERTMS de niveau 3. Aujourd’hui, le réseau est découpé en zones fixes de quelques km de longueur. Lorsque un train est dans une zone, un 2e train ne peut entrer dans la même zone, et un train d’une longueur de 50 m peut donc occuper une place de 5 km. Avec l’ERTMS de niveau 3, cela va changer.

On pourra donc mettre plus de trains ?

L’ERTMS de niveau 3 permet les cantons mobiles, soit des bulles de sécurité autour de chaque train. Ce volet technologique n’est pas encore totalement au point, mais les spécifications en cours avancent bien. Le train pourra avancer dans sa bulle de sécurité, il suffira de connaître sa longueur et de savoir où il est, en recourant à des technologies innovantes nous permettant d’obtenir des positions précises de localisation de chaque train.

En quoi l’ERTMS est-il clef ?

Déployer l’ERTMS partout en Europe signifie qu’on aura un seul système de sécurité, au lieu de six ou sept systèmes différents. La volonté de la Commission européenne est, donc, d’équiper en priorité les réseaux fortement circulés, les corridors de fret ou les lignes à grande vitesse. En France, on vise le déploiement sur 17 000 km. Au fur et à mesure, on équipe les trains grâce aux financements du plan de déploiement de l’ERTMS, dont chaque Etat membre est responsable.

C’est-à-dire ?

Chaque Etat membre aura en effet l’obligation de publier un plan d’implémentation national de l’ERTMS afin d’expliquer comment il va faire, sur quelques voies, avec quels investissements, etc. L’Etat est pleinement responsable, et cela représente beaucoup d’argent.

Mais des économies à terme ?

Oui, car cela simplifiera les systèmes. Mais il faut d’abord consentir des investissements très lourds. Prenons le cas de l’ERTMS qui nécessite des modifications aussi bien des installations au sol que des véhicules. On doit installer l’ERTMS au sol pour que des trains nouvellement équipés puissent circuler tandis qu’on en équipe de nouveaux. Mais en attendant, qu’on gagne des km au sol, les trains doivent être équipés du système de signalisation existant et de l’ERTMS pour rouler.

C’est donc un engagement sur le long terme…

Oui, car on investit en sachant qu’on y gagnera plus tard. Prenons la ligne Marseille-Vintimille : SNCF Réseau équipe la ligne en retirant l'ancienne signalisation. Donc, seuls les engins dotés de l’ERTMS pourront rouler sur cette partie du réseau, mais les opérateurs doivent avoir des véhicules doublement équipés pour pouvoir circuler aussi ailleurs. Cela ne génère d’abord que des coûts. Mais un beau jour, l’ensemble du réseau sera équipé et les anciens systèmes de sécurité nationaux auront disparu. Que d’étapes et de travail collaboratif à mener pour arriver à ce résultat !