Vue aérienne d'un TGV OUIGO en Bourgogne

Quand l’imagerie spatiale se met au service du ferroviaire

La SNCF et le Centre national d’études spatiales (CNES) ont signé un accord de coopération pour développer l’usage du spatial dans la gestion des infrastructures et services ferroviaires. Entretien avec Stéphane Callet, Directeur de Projets Equipements de signalisation embarquée nouvelle génération chez Tech4Rail1.

La recherche spatiale peut apparaître comme un champ scientifique éloigné des préoccupations terrestres, et pourtant la convention de partenariat signée par Carole Desnost, Vice-Présidente Technologies, Innovation et Projets Groupe de SNCF, et Lionel Suchet, Directeur général délégué du CNES, a pour ambition de poursuivre une coopération démarrée en 2016. Comment les données satellitaires contribuent-elles au développement du transport ferroviaire ? Quels sont les principaux domaines d’application ? Réponses avec Stéphane Callet.

Quel est l’objectif de ce partenariat CNES-SNCF ?

Nous souhaitons valoriser les potentiels d’application des technologies et services spatiaux au système ferroviaire. Un comité de suivi associant un noyau d’acteurs venant des différentes sociétés du Groupe sera mis en place pour incarner et animer cette collaboration CNES-SNCF. Ces acteurs vont travailler avec leurs alter ego, au CNES, et, au besoin, mobiliser des personnes supplémentaires afin, par exemple, de lancer une instruction approfondie sur un sujet, voire de déployer un projet ou un programme de recherche commun. À travers ce partenariat, nous avons également accès aux derniers travaux spatiaux des équipes françaises et européennes. Nous pouvons également leur faire part de nos problématiques et mettre en avant les cas d’usage dans le ferroviaire afin que ceux-ci soient pris en compte par le domaine spatial.

Trois grands sujets ou thèmes sont au cœur de cet accord : l’observation de la Terre, les télécoms (la connectivité train – infrastructure) et la « navigation » (ou localisation des trains et des objets).

Quels sujets vont être au cœur de cet accord ?

Trois grands sujets ou thèmes sont au cœur de cet accord : l’observation de la Terre, les télécoms (la connectivité train – infrastructure) et la « navigation » (ou localisation des trains et des objets). Les satellites nous fournissent des images précieuses pour la compréhension des phénomènes se produisant à la surface de la Terre.

Quels phénomènes observez-vous, par exemple ?

Les images optiques et proche infrarouge contribuent à catégoriser les différents types de végétation présents le long de notre infrastructure et permettent de caractériser leur état hydrique (végétation trop abondante ou, à l’inverse, trop sèche voire morte, donc propice aux incendies aux abords des voies). Les satellites d’observation de la Terre nous permettent aussi, via des technologies basées sur l’interférométrie radar1, de mener des études de déformations de la surface du sol à grande échelle, sans faire de compromis sur la précision de la mesure. Cet outil peut nous permettre, par exemple, de prévenir et anticiper des glissements de terrains pour protéger notre infrastructure. Les radars plus basses fréquences (bande L) à bord de certains satellites peuvent nous fournir des informations cruciales sur la teneur en eau des quelques premiers mètres du sous-sol. Ce paramètre est essentiel pour l’évaluation du risque de glissements de terrain pouvant affecter nos ouvrages en terre.

Quels types d’altérations sont surveillés ?

Des glissements lents de terrain affectant des versants ou bien de talus de déblais de grande dimension pouvant affecter les voies ferrées par exemple… On surveille aussi le changement d’occupation des sols de nature à déstabiliser nos ouvrages. En couplant les images satellitaires avec les informations fournies par les bases de données quant à la nature des cultures, leur rotation, l’orientation des semis ou des sillons des plantes, on peut identifier de nouvelles zones de vulnérabilité de notre réseau en lien avec le risque de ruissellement intense.

Et donc prévenir les risques ?

Les fortes pluies et leurs conséquences sur l’état des sols peuvent engendrer un arrêt d’exploitation, qui peut aller de quelques heures à plusieurs semaines. Grâce aux données spatiales, on va donc pouvoir prendre des dispositions particulières pour prévenir des glissements de terrain, et surveiller ces endroits comme le lait sur le feu, voire, le jour où des orages sont annoncés par Météo France, mettre une restriction de vitesse pour les trains, etc. Cet aspect, lié à l’adaptation au changement climatique au sein de SNCF Réseau, est au cœur de notre accord de collaboration avec le CNES.

Nous allons renforcer les liens entre le ferroviaire et les services satellitaires, tels que l’imagerie spatiale, qui permettra d’observer les sols aux abords des voies ferrées pour prévenir les risques de glissement de terrain.

Quels sont les autres champs d’application ?

Les télécoms, via les satellites de communication (SATCOM), offrent une couverture quasi en tout point, y compris dans les « zones blanches » comme certaines zones rurales non couvertes ou encore certaines vallées de régions montagneuses. Le champ d’application donc, c’est une meilleure transmission des données avec les trains, grâce à la combinaison des moyens de communication terrestres et des satellites. Cela ouvre le champ également au déploiement d’objets connectés, les IoT.

À quoi servent ces IoT liés aux satellites ?

Les IoT ont de multiples usages, tout dépend des capteurs qui y sont associés. Associé à un détecteur de chaleur ou de fumée, un IoT permet par exemple de détecter les feux de forêt proche d’une voie. Si un début d’incendie a lieu dans un endroit non couvert par les réseaux 3G ou 4G, des capteurs autonomes positionnés le long de la vont envoyer une alerte au Service départemental d’incendie et de de secours (SDIS), à l’Établissement infrastructure et circulation (EIC) ou à tout autre acteur pertinent pour prendre les mesures qui s’imposent lors d’un départ de feu. Les IoT peuvent aussi être des capteurs déployés sur des installations ferroviaires fixes (en voie par exemple) ou sur des « mobiles » (installés sur rames ou sur des wagons). Ils contribuent à ce qu’on appelle l’« asset management », domaine dans lequel SNCF Réseau et SNCF Voyageurs sont très actifs. Là, l’intérêt pour SNCF, c’est de pouvoir s’appuyer sur le CNES qui est en pleine maîtrise de ces solutions.

Les satellites garantissent-ils un bon niveau de disponibilité et d’intégrité des données transmises ?

Pour la transmission des données (et de la voix), ce sera la mission d'IRIS 2, le programme européen pour une connectivité sécurisée et souveraine. IRIS 2 reposera sur une constellation de 300 satellites. Il est destiné notamment à fiabiliser et sécuriser les communications de services « critiques » comme celles des pompiers, de l’armée et de la gendarmerie, mais pourquoi pas aussi envisager celles des opérateurs ferroviaires (pour communiquer avec des agents sur le terrain par exemple ou pour assurer les liaisons informatiques entre équipements). Les systèmes satellitaires peuvent nous apporter bien des solutions, et ce partenariat nous offre la possibilité de rester bien au fait des solutions actuelles et des nouveaux programmes spatiaux afin d’évaluer leur utilité dans le ferroviaire.

Avec cet accord, les équipes du CNES et de la SNCF partageront les feuilles de route technologiques du spatial d’une part (IRIS 2, EGNOS, Copernicus…) et du ferroviaire d’autre part (celle de l’ERTMS et des autres besoins comme STC).

Ainsi ce partenariat peut faire avancer des solutions aussi bien à l’échelle européenne que française…

Exactement. C’est précisément illustré par le champ d’application le plus évident, la localisation. En complément du GPS américain et de Galileo, le programme européen de positionnement par satellites, a été lancé le système EGNOS (European Geostationary Overlay Service) pour la navigation aérienne. C’est un service dit « Safety of Life » qui apporte précision et sécurité sur la position de l’avion. Un système EGNOS appliqué au ferroviaire est en cours d’évaluation pour améliorer encore la localisation des trains grâce aux satellites, garantir la sécurité requise par le système de signalisation ferroviaire européen : l’ERTMS. Outre ces débouchés européens, les solutions satellitaires, en raison de leur précision, peuvent aussi contribuer, en France, à de nombreuses autres applications comme la surveillance de nos infrastructures (STC2). Elles pourraient aussi servir à des applications plus spécifiques comme la recharge rapide des trains à batteries.

Les formes que cette collaboration peut prendre sont donc diverses ?

Avec cet accord, les équipes du CNES et de la SNCF partageront les feuilles de route technologiques du spatial d’une part (IRIS 2, EGNOS, Copernicus…) et du ferroviaire d’autre part (celle de l’ERTMS et des autres besoins comme STC). Un tel accord peut générer également des collaborations avec la mise en place d’une thèse sur un sujet commun aux deux entreprises. De la même manière que le groupe SNCF s’associe avec des partenaires industriels, grâce à cette convention de partenariat, nous joignons nos forces avec une agence bénéficiant d'une certaine hauteur de vue pour faire émerger des solutions innovantes et apporter son expertise à des acteurs industriels (via Connect by CNES et son programme de Recherche & Technologie R&T).