
« La mixité a des enjeux très concrets sur le terrain »
Un réseau en faveur de la mixité est-il vraiment influent au sein d’un groupe de l’envergure de la SNCF ? Quelles actions concrètes sont à mener ? Les hommes y ont-ils un rôle à jouer ? Anne-Sophie Nomblot, alors présidente de SNCF Mixité, a répondu à nos questions en mars 2024.
Dans la lutte contre les discriminations et les stéréotypes de genre, SNCF Mixité, lancé en 2012, joue un rôle-clé. En 2024, Anne-Sophie Nomblot, nous expliquait comment le premier réseau de France avec ses 12 000 membres1, œuvre concrètement pour la mixité et l'égalité entre les femmes et les hommes.
Pourquoi avez-vous rejoint le réseau ?
Par curiosité, comme beaucoup. Avant, il y a eu ce déclic : la naissance de mes enfants. J’ai commencé à me poser plus de questions, sur les valeurs que je voulais transmettre, ce qui m’a amené à me renseigner sur des sujets comme l’écologie ou la mixité.
Appartenir au réseau vous a-t-il aidée ?
J’ai pu, en effet, participer à des ateliers de développement personnel et aussi, au programme de mentorat. Ambition, équilibre entre vie pro et vie perso, relations professionnelles, lutte contre le sexisme… Les thèmes ne manquaient pas. Le réseau fonctionne comme un cercle vertueux.
C’est-à-dire ?
C’est en abordant tous ces sujets avec SNCF Mixité que l’envie d’aller plus loin est venue. J’ai nourri mon engagement en lisant et en écoutant des podcasts. J’ai pris davantage conscience de certains enjeux, et eu de plus en plus envie de m’impliquer. Grâce à un programme pour l’intraprenariat2 mis en place par SNCF Mixité, avec deux collègues, nous avons lancé La Boutique Éco3, pour promouvoir l’économie circulaire au sein de la SNCF. Une aventure qui m’a donné confiance en moi et en mes capacités. J’ai eu le sentiment d’avoir beaucoup reçu du réseau…
Vous avez donc voulu rendre la pareille…
Oui, en devenant ambassadrice du réseau. Et ce, jusqu’à ce que Francesca Aceto4 me dise : « Pourquoi tu ne deviendrais pas présidente ? ».
Comment jugez-vous l’évolution du réseau ?
Quand les premiers réseaux de ce type ont été montés, ils étaient portés par cette volonté : faire prendre conscience aux femmes qu’elles se mettaient, elles-même, des freins à leur carrière. Les initiatives étaient donc articulées autour de sessions de coaching, de mentorat ou d’ateliers de développement personnel. Un programme tourné avant tout vers les cadres. D’ailleurs, 1 femme cadre sur 2 est membre de notre réseau.
Qu’en est-il des agents de maîtrise et d’exécution ?
Ils constituent un tiers de nos membres, un chiffre perfectible. Le débat public a beaucoup tourné autour de la place des femmes dans les conseils d’administration, ou de la proportion de femmes dans les comités exécutifs. Mais ce n’est pas le seul sujet. En matière d’égalité, il ne faut pas se focaliser uniquement sur les femmes dirigeantes. Tout ce qui touche à la mixité a aussi des enjeux très concrets au niveau du terrain.
Par exemple ?
Il y a encore des emprises SNCF où il n’y a pas de toilettes ou de vestiaires pour femmes. Nous avons lancé sur le modèle de « Tous SNCF5 » une initiative encourageant les établissements à faire leur autodiagnostic sur les sujets concernant la mixité et à se comparer entre eux afin de mettre en place un plan d’action local. Pour agir sur des problématiques très concrètes.
Avez-vous des exemples d’actions concrètes ?
J’aime beaucoup l’exemple des tenues haute visibilité, utilisées sur les voies ou dans les technicentres par exemple : un groupe de membres du réseau a travaillé avec le fournisseur pour que des vêtements adaptés à la morphologie des femmes soient fabriqués. Et puis, dans un registre totalement différent, une autre initiative du réseau me tient à cœur : les ateliers théâtre à destination des alternantes.
Quel rôle pour les hommes au sein du réseau ?
Sur les sujets de harcèlement au travail, aujourd’hui, on ne peut pas s’adresser exclusivement aux femmes. Les managers sont encore majoritairement des hommes, et ce sont eux qui recrutent, forment, promeuvent, tolèrent ou non une ambiance sexiste au sein de leurs équipes. Ils ne sont actuellement que 22% des membres6, il en faut encore plus. Ceux qui sont déjà avec nous sont des précurseurs, des hommes altruistes. Nous devons recruter d’autres hommes, car les sujets de mixité ne doivent pas être abordés seulement sous l’angle féminin mais aussi sous l’angle masculin.
Qu’entendez-vous par là ?
Nous avons organisé des ateliers sur la parentalité et, en particulier, sur la place des pères. Je suis, pour ma part, convaincue que tout ce qui participe à l’implication du père dès l’arrivée de l’enfant, à commencer par l’allongement du congé paternité, est essentiel. Car cela favorise une meilleure répartition de la charge dans le couple.
Quels autres sujets dits "masculins" sont abordés ?
Nous travaillons sur l’injonction de virilité et sur ses répercussions sur les enjeux de sécurité. Quand je travaillais à un poste d’aiguillage, il y a des années, on m’a proposé de l’alcool. J’ai refusé et comme j’étais une femme, mes collègues n’ont pas insisté. Mais des hommes novices comme moi ont subi plus de pression du groupe. L’entreprise a depuis fait des progrès considérables sur la prévention de l’alcool, mais il faut être vigilant sur cette pression pour « faire partie de la bande et être un vrai gars ». Certains ne sont pas à l’aise dans cette ambiance sexiste.
Quels enjeux de mixité spécifiques à la SNCF ?
La SNCF porte le poids de sa dimension industrielle. La proportion de femmes y travaillant est proche de celle qu’on retrouve dans les entreprises de ce type, telle l’automobile. Mais il y a dans le Groupe beaucoup de métiers qui ne nécessitent pas de diplômes techniques. Certes, à l’heure actuelle peu de femmes sortent du système scolaire avec des diplômes techniques en poche mais elles peuvent postuler pour devenir conductrice ou travailler à la Suge7 par exemple.

Seuls 12% des métiers en France sont vraiment mixtes et l’écart entre les métiers d’extérieur, réservés aux hommes et les métiers d’intérieur, dévolus aux femmes, subsiste encore fortement.
Pourtant les stéréotypes persistent…
Seuls 12% des métiers en France sont vraiment mixtes et l’écart entre les métiers d’extérieur, réservés aux hommes et les métiers d’intérieur, dévolus aux femmes, subsiste encore fortement. Mais il n’en reste pas moins que devenir conductrice à la SNCF, c’est tout à fait possible. Il n’y a aucun impératif d’ordre physique qui empêcherait les femmes d’exercer ce métier. En vérité seuls les horaires pourraient être dissuasifs, c’est en tout cas une crainte plus fortement exprimée par les mères.
Comment aborder ces sujets ?
Lors des confinements, nous avons lancé au sein du réseau un lab8, appelé « New ways of working », afin de réfléchir aux manières dont la crise sanitaire avait fait s’entrechoquer vie professionnelle et vie personnelle. Cette situation exceptionnelle a donc permis d’amorcer au sein du réseau une réflexion sur l'impact de la parentalité, sur le présentéisme, l’organisation du travail, etc.
Comment fonctionnent les ambassades ?
Elles sont soit régionales, soit par métier. Elles sont constituées de membres du réseau particulièrement engagées. Les ambassades ont beaucoup de liberté pour organiser leurs événements et favoriser les rencontres sur le terrain. Certaines vont être tournées vers des réseaux externes pour partager des bonnes pratiques, d’autres vont se consacrer à des événements sportifs ou privilégier des ateliers et des conférences…
Interviennent-elles dans les écoles ?
Elles s’y rendent pour parler de leur métier et encourager des vocations, comme le fait l’ambassade Matériel. La direction du Matériel est, en effet, l’entité la moins féminisée à la SNCF, et celle qui reçoit le moins de candidatures de femmes. Le but de cette ambassade, c’est donc de casser les stéréotypes liés à l’orientation scolaire des jeunes filles le plus tôt possible.