Les Stations rurales des mobilités, pour faciliter les solutions partagées
Comment faciliter les mobilités partagées et actives dans les territoires ruraux ? C’est un des défis relevés par les Stations rurales des mobilités, expérimentation portée par Tech4Mobility, et qui a reçu le prix de l'innovation territoriale au Salon des maires et des collectivités locales 2024. Entretien avec l'équipe responsable du projet.
Lancées par l’accélérateur Tech4Mobility, les Stations rurales des mobilités ont pour objectif de rendre visibles dans l’espace rural les solutions de mobilité partagées ou actives. Deux expérimentations sont actuellement en cours dans le Finistère, encourageant les habitants à abandonner leur voiture au profit de diverses mobilités, allant des vélos au covoiturage. Laurent Eisenman, directeur du programme « Nouveaux usages et services ruraux » de SNCF Tech4Mobility, et Caroline Guérin, cheffe de projet « Innovation par le design » de SNCF Tech4Mobility, nous expliquent comment ont été conçus ces dispositifs innovants, récompensés au Salon des Maires et des collectivités locales 2024 dans la catégorie « Mobilité décarbonées ».
Quelle est la genèse du projet Stations rurales des mobilités ?
Laurent Eisenman : Dans le cadre du programme « Nouveaux usages et services ruraux », lors de la mise en œuvre de transports à la demande, avec Ma Course SNCF1, ou Les Pros-voitureurs2, nous avons constaté qu’abandonner la voiture pour un mode de déplacement plus frugal, plus partagé et collectif n’allait pas de soi pour les habitants, et qu’il nous fallait trouver des manières d’encourager l'adoption de ces nouvelles mobilités dans les territoires ruraux. Pour rendre attractives ces mobilités, c’est par le prisme du mobilier que nous avons abordé le projet. En ville, le mobilier urbain permet de signaler les trottinettes, le covoiturage, et bien évidemment les bus, les métros, etc. Alors que dans le milieu rural, celui-ci est inexistant ou figé dans les années 1970 : aubettes en béton, abribus en bois ou en plexiglas pour le transport scolaire...
Mais rien pour signaler les nouvelles mobilités…
Laurent Eisenman : Oui, d’où notre volonté d’inventer un mobilier rural adapté à ces nouvelles solutions, visible sur le territoire et repérable ; et pas de simplement transposer le mobilier urbain dans les campagnes car il n’incarne pas les mêmes codes. À force de passer devant ce mobilier conçu spécialement, les habitants voient et s’habituent à ces nouvelles pratiques que sont les vélos spéciaux partagés (cargo, longtail, vélobus) ou les voitures électriques sans permis partagées, etc. Notre intuition nous a donc poussé à travailler avec les sciences cognitives et comportementales pour fabriquer ce qu'on appelle un repère cognitif3, destiné à rendre tangibles les mobilités dans l’environnement. Notre expérimentation est en cours dans le Finistère, à Guimiliau et à Plouzévédé.
Comment avez-vous choisi ces sites ?
Laurent Eisenman : Nous sommes allés sur le terrain avec AREP4, qui nous a accompagné sur la conception des mobiliers, pour choisir une quinzaine de sites, avec une grille d'évaluation prenant en compte des enjeux comme la sécurité, l'espace nécessaire, la proximité de points d'intérêt, etc.
Par la suite sur la conception et le protocole de l’expérimentation sur le cocktail des services de mobilités, c’est le cabinet Kisio5 qui nous accompagne.
Comment avez-vous conçu ces mobiliers ?
Caroline Guérin : Notre objectif, avec AREP Design, était de concevoir de nouveaux mobiliers avec une identité rurale, et adaptés aux usages des différentes mobilités adressées. Nous avons travaillé sur ce qu’on appelle l'affordance, soit la capacité d’un objet à révéler sa fonction. Quand on le voit, on doit comprendre son utilisation, en un coup d'œil. Les mâts indiquent la possibilité de faire de l'auto-stop et du covoiturage grâce au rouleau des destinations, l’abri agrège différentes formes de mobilités, et puis on y trouve des arceaux pour vélos, des abris sécurisés faits sur-mesure, des stations de gonflage et de réparation, bref, tout ce qui va graviter autour de ces mobiliers redessinés.
En matière de design, qu’est-ce qui change justement ?
Caroline Guérin : Pour que ces mobiliers soient reconnaissables tout en étant attractifs, nous avons aussi créé une nouvelle identité en remettant au goût du jour les codes de la ruralité : par exemple, le mât est inspiré du mât de cocagne, en haut duquel on attachait jadis des bouquets ou des drapeaux. L’univers agricole est évoqué grâce aux matériaux tels que l'acier galvanisé, et des savoir-faire ancestraux et locaux fondés sur le travail du bois sont également utilisés... Ces mobiliers sont donc « personnalisables », selon la région.
Par exemple ?
Caroline Guérin : L’abri à Guimiliau, qui sert à agréger d’autres offres en plus de celle que nous proposons, est un objet hybride entre industrie et artisanat. Nous avons travaillé avec une artisane en vannerie qui a tressé de l'osier sur la structure métallique pour créer ces claustras. Cet abri offre un espace confortable aux habitants pour patienter.
Comment fonctionne le mât d’auto-stop et de covoiturage ?
Caroline Guérin : On a souhaité inventer des mobiliers « low-tech », prenant en compte le « soin de la maintenance » et la durabilité. Sur les mâts d’autostop, un « rouleau des destinations » remplace la pancarte de l’autostoppeur et ce dernier choisit ainsi où il souhaite se rendre. Pour indiquer qu’on attend une prise en charge, un bouton déclenche un signal lumineux. Ce système organise en toute sécurité ces pratiques et les encourage. À Plouzévédé, le mât est en outre autonome en énergie grâce aux panneaux solaires sur le toit. Parallèlement à ces innovations, nous avons travaillé sur des outils pour signaler les transports disponibles via le design d'information et une approche centrée utilisateur.
Quels sont ces outils ?
Caroline Guérin : D’abord, des cartographies. L’offre de transports publics est méconnue du fait de l'usage prédominant de la voiture individuelle en milieu rural. Or, l’utilisateur potentiel veut connaître tous les moyens à sa disposition pour se déplacer sur son territoire, sans avoir à consulter les grilles horaires de chaque opérateur, parfois peu lisibles, ou de multiples cartographies. Nous avons agrégé ces informations à l’échelle de la communauté de communes, pour donner à voir l’ensemble des offres de mobilité partagées et collectives sur le territoire. Pour les cartographies des communes, nous avons également indiqué les points d’intérêt du quotidien des habitants, comme la mairie, le stade, la boulangerie, situés dans un petit rayon autour des mobiliers. Pour montrer que ces petits trajets peuvent être réalisés autrement qu'en voiture. C’est un travail de pédagogie et de sensibilisation pour indiquer comment rejoindre ces lieux, quelle durée est nécessaire pour les rallier à pied, en vélo électrique, en vélo à énergie musculaire, etc.
Notre objectif : démontrer que les petits trajets du quotidien peuvent être réalisés autrement qu'en voiture.
Cheffe de projet Innovation par le design de SNCF Tech4Mobility
Quelles solutions de mobilité sont justement proposées ?
Caroline Guérin : Notre but était de proposer de nouvelles formes de mobilité aux habitants, en alternative à la voiture : d’abord les « vélos du coin », issus de collectes organisées auprès des habitants qui font don de vélos inutilisés, retapés et remis en circulation gratuitement, mais aussi des « longtails » et des vélos cargo, permettant de transporter des charges lourdes, et même un vélo-bus dans lequel on peut emmener jusqu'à huit enfants. Ce dernier est idéal pour le ramassage scolaire ou les sorties à plusieurs. Nous proposons également des voiturettes électriques sans permis. Et puis, il y a le covoiturage et l’autostop. Libre à chacun de trouver la solution qui lui convient !
Comment avez-vous travaillé sur l’information voyageur ?
Caroline Guérin : Les Stations rurales des mobilités regroupent tous les services en un point pour créer un office des mobilités. Nous avons cherché à rendre accessibles l’ensemble des offres de mobilité, en donnant aux gens des idées d’usages, en précisant les distances que l’on peut parcourir, en indiquant le coût de ces services, etc. Cette information exhaustive se trouve affichée sur des supports physiques à proximité des mobiliers, et aussi dans les mairies qui jouent le rôle de relais.
Vous multipliez les canaux…
Caroline Guérin : Nous voulons nous adresser à tous les publics et notamment toucher les personnes qui ont besoin de mobilité mais ne sont pas ou plus en capacité de se déplacer : par exemple les personnes âgées ou les jeunes sans permis. Ces publics qu’on appelle les « assignés à résidence » n’ont pas toujours les moyens financiers ou physiques de bouger. Notre objectif est de les inclure le plus possible. Les habitants peuvent réserver nos vélos et voiturettes sans permis via une application mobile6 ou un site web7. Nous avons également créé un service client pour accompagner les personnes moins à l’aise avec le digital.
Quel rôle jouent les deux communes ?
Laurent Eisenman : En amont, nous avons réuni lors d’ateliers les élus, les habitants, les acteurs associatifs et les acteurs économiques pour comprendre leurs pratiques de mobilité, réfléchir à « la station idéale ». C’est une véritable démarche de co-construction pour favoriser l’adoption de notre solution. La communauté de communes nous soutient en matière de communication. C'est un enjeu majeur, aussi nous comptons beaucoup sur les relais institutionnels, les mairies, les communes. Ces mobiliers sont installés sur le domaine public des communes, il a donc fallu passer des conventions d'autorisation d'occupation de ce domaine public. Le lien qui s’est créé avec ces deux communes est dès lors plus étroit que lorsqu’on met simplement en place un transport à la demande ou des vélos.
Quels sont les premiers retours des habitants ?
Laurent Eisenman : Enthousiastes ! Notamment grâce aux animations au moment du lancement. Nous avons fait venir les habitants, les avons accompagnés pour créer leurs comptes en ligne et tester les vélos spéciaux et voiturettes ; et avons formé les équipes communales, et ce travail a porté ses fruits. Mais nous devons continuer à faire de l’animation pour faire connaître les Stations rurales des mobilités. Pour le moment, la voiture électrique sans permis est plus attrayante aux yeux des habitants, mais on ne va pas changer les habitudes du jour au lendemain.
Quelle est la prochaine étape ?
Laurent Eisenman : Générer des données quantitatives et qualitatives pour comprendre où vont les gens avec ces modes de transport, et pourquoi ils s’en servent. Une fois que nous aurons identifié ce qui a fonctionné, ce qui a échoué, ce qui a été modifié en cours de route, cela va nous permettre de réaliser un retour d’expérience et proposer un cahier de généralisation. Une doctorante en psychologie sociale comportementale fait en parallèle sa thèse avec nous, et étudie les changements induits par ces mobiliers sur les pratiques de mobilité des habitants de ces deux communes. Les mobiliers vont rester en héritage sur le territoire une fois l’expérimentation terminée, et le fait qu’ils perdurent permet de mener cette recherche universitaire pour nourrir in fine notre travail à la SNCF.
En quoi les Stations rurales des mobilités s’inscrivent dans la stratégie de l’entreprise ?
Laurent Eisenman : Ce qu'on développe avec les Stations rurales des mobilités va contribuer à alimenter et décloisonner le système ferroviaire. Une fois qu’on a augmenté la capacité des trains avec le TGV M, qu’on a rendu la grille tarifaire plus accessible, qu’on a augmenté la capacité de circulation du réseau grâce au travail des équipes de la DTIPG, de SNCF Voyageurs et de SNCF Réseau, il va s’agir de créer de l’induction : permettre à de nouvelles personnes d’avoir accès au train. Et cela passera donc aussi par le développement de la mobilité rurale qui rend les gares et le train plus accessibles. Quand on a expérimenté Ma Course SNCF, les enquêtes marketing ont démontré qu'un quart des utilisateurs du service ne seraient jamais allés à la gare du coin sans ce type de service. Les Stations rurales des mobilités concernent les mobilités du quotidien, certes, mais on sait, aujourd’hui, que 40% des gens dont le travail est à moins d'1 km prennent quand même leur voiture, que 60% des gens dont le travail est à moins de 5 km le font aussi, etc. C’est à ce réflexe-là qu’on s’attaque avec ce programme.